Vous n’aimez pas les salles d’attente des cabinets médicaux ? La télémédecine, en plein développement, est faite pour vous. Déjà des applications et des plateformes comme MédecinDirect ou DeuxièmeAvis permettent de demander le diagnostic de professionnels à distance. Et, depuis le 15 septembre, les téléconsultations sont désormais officiellement autorisées et remboursées par l’assurance maladie. Concrètement, tout individu âgé de plus de 16 ans peut désormais bénéficier d’une consultation à distance, via un ordinateur, une tablette ou un smartphone, et même recevoir une ordonnance, pour le tarif habituel. Seul impératif aujourd’hui : que le médecin connaisse déjà le patient. Une mesure nécessaire selon Jean-Christophe Weber, professeur de médecine interne à l’hôpital de Strasbourg, pour qui la télémédecine ne reste à ce stade « qu’un ersatz de consultation directe » : « Le médecin soigne des corps parlants, explique l’auteur de La Consultation (PUF, 2017). Pour ce qui est de la parole, la qualité de la relation est modifiée, de la même manière qu’une conversation à bâtons rompus est gênée dans son déploiement lorsqu’on utilise un dispositif de communication à distance. Le service médical rendu est donc de moindre qualité, mais on peut choisir d’y consentir car, sinon, il n’y aurait rien dans certains cas. La téléconsultation est aussi une manière de rester éloigné. » Un avis nuancé par le Pr Guy Vallancien, chirurgien et auteur de La Médecine sans médecin ? Le numérique au service du malade (Gallimard, 2015) : « Pour une première visite, la téléconsultation me paraît difficile. Il faut connaître le patient et, pour cela, le voir, l’entendre. La façon qu’il a d’ouvrir la porte en dit parfois beaucoup. En revanche, les téléconsultations seront très utiles pour le suivi des patients, notamment dans les déserts médicaux ou les EHPAD, où on peut imaginer une cabine qui passe de chambre en chambre. Cela représenterait beaucoup moins de déplacements en ambulance, une véritable économie de temps, de moyens, et même d’angoisse. »

Encore balbutiante, cette télémédecine apparaît surtout comme une nouvelle étape du développement de « l’e-santé », un secteur qui pèse aujourd’hui trois milliards d’euros et environ 30 000 emplois en France. Déjà, des pacemakers ou des stylos à insuline connectés, capables d’enregistrer à distance les données du malade, viennent en aide aux personnes cardiaques ou diabétiques. En janvier dernier, les États-Unis ont même lancé le premier médicament connecté, un antipsychotique qui envoie l’heure de son ingestion via Bluetooth, pour vérifier qu’il a bien été pris. Et les géants de la high-tech annoncent pour les prochaines années des montres ou des implants à même de surveiller en permanence nos constantes vitales, à l’affût de la moindre irrégularité. Des objets connectés qui ne s’adressent pas uniquement aux malades, mais également aux personnes a priori en bonne santé : « Les possibilités offertes par les dispositifs techniques soulèvent la question de leur usage, juge à cet égard Jean-Christophe Weber. Qu’ils puissent être au service d’une émancipation suppose une ascèse. Car en première analyse, ils renforcent la tutelle, dont on doit espérer qu’elle reste bienveillante. La médicalisation de la vie quotidienne n’a pas que des effets positifs chez un certain nombre d’utilisateurs de ces objets. Si le sportif, par exemple, règle son entraînement sur les performances qu’il enregistre, l’anxieux scrute son rythme cardiaque et s’inquiète de ses variations. Pour certains, cela signifie aussi une surveillance constante, et donc la représentation permanente d’un soi malade. » Et le praticien d’alerter sur les risques de mise aux normes de l’individu par le politique – sans même parler des assurances –, et l’illusion de voir ces objets connectés remplacer à terme l’examen médical. « La clinique est une pratique “expérimentale”, parce que la vie est un essai et une tentative, ou plutôt une succession d’essais et de tentatives. Soigner, c’est expérimenter, parce que vivre, c’est risquer de vivre. On croit à tort que les objets connectés de santé nous délivreront de cette désorientation. »

En creux, c’est le rôle même du médecin qui se voit bousculé par ces innovations – un rôle qui a déjà largement évolué avec la technicisation du métier. « Aujourd’hui, mes yeux ne me servent plus à grand-chose, l’examen clinique disparaît peu à peu, reconnaît ainsi Guy Vallancien. Les outils numériques dont nous disposons permettent de lire des images ou des analyses plus finement que nous ne saurions le faire. Chez les spécialistes surtout, l’intelligence artificielle prend de plus en plus le pas sur l’expertise humaine. » Jusqu’à remplacer un jour totalement l’humain par la machine ? En Chine, déjà, un robot baptisé Xiaoyi, ou « Petit Docteur », a passé l’an dernier avec succès le concours de médecine et est utilisé dans quelques hôpitaux pour conseiller les patients. « À terme, les machines pourront prendre en charge le diagnostic de la plupart des petites pathologies. Elles nous aideront à dégager du temps pour les affections sérieuses, pour lesquelles il faudra un médecin global, qui sache faire preuve de psychologie et soit à l’écoute des patients. Le jour où un robot vous annoncera que vous avez un cancer, vous aurez besoin de parler avec un être humain. » 

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