Nous aimons proclamer que nos hôpitaux sont les meilleurs, que la médecine française est en pointe (expression qu’il faudrait préciser !), mais nous entretenons une réelle défiance vis-à-vis de nos médecins. Pourquoi ? L’ambition de ce numéro est de démêler ce nouveau paradoxe, né de la disparition concomitante des médecins de campagne, des médecins de famille et de ces grands cliniciens de jadis devant lesquels on se prosternait. Que l’on songe au bon Dr Cottard hissé au rang d’un dieu par Mme Verdurin, dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Ces médecins incarnaient la proximité humaine et la distance du savoir. Ils vous prenaient le pouls d’un air grave, soulevaient votre paupière et d’un coup d’œil aigu posaient leurs diagnostics. Nul ne songeait alors à les poursuivre devant un tribunal.

En quelques décennies, tout a changé. Dans leurs cabinets, les médecins ont abandonné leurs blouses blanches comme les instituteurs leurs blouses grises. Au « colloque singulier » entre le praticien et son patient s’est substitué l’écran imparable des analyses médicales. Prises de sang et prélèvements d’urine établissent plus sûrement nos déficiences qu’une longue auscultation, et l’imagerie médicale (radiographie, scanner, IRM) permet de lire dans nos corps à livre ouvert.

À cette première révolution s’ajoute celle d’Internet, à double détente. Assommés de tâches administratives et de rappels à l’ordre de la Sécurité sociale, les médecins sont devenus prisonniers de leurs ordinateurs, oubliant la plupart du temps de regarder et d’écouter leurs patients. Tandis que ces derniers, plus informés que jamais des mille et une maladies existantes, se sentent en droit de discuter le diagnostic énoncé et le traitement prescrit. D’un rapport vertical, nous voilà passés sans transition à un rapport de fausse égalité. Les malades contestent l’avis de leurs médecins et les médecins s’irritent de ces critiques formulées par des patients dépourvus de la culture scientifique minimum pour débattre. Bref, le diagnostic n’est plus un oracle, mais un sujet de discussion. Et le patient inquiet prend soin de recouper ce que lui a dit son médecin. C’est une rupture de confiance et un curieux dialogue de sourds : les patients, toujours plus anxieux et préoccupés de leur santé, demandent plus d’écoute tandis que les médecins, toujours plus pressés et stressés par une médecine à la chaîne, délèguent l’essentiel de leur métier à la technique. Visiblement, le point d’équilibre n’a pas encore été trouvé. 

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