Ce sont deux mots qui ont servi de bannière à des générations de Français : la gauche. On se sentait de gauche. On était de gauche. Et d’un coup de baguette magique, on pensait avoir rejoint le camp du progrès, de la justice sociale. J’en parle à l’imparfait parce que cette gauche-là est morte. C’était la gauche des combats républicains qui a structuré tout le xixe et le XXe  siècle. C’est du passé.

La gauche, aujourd’hui, n’est plus que son très pâle fantôme. On peine à en distinguer les contours tant elle est éparse, inaudible, introuvable, en un mot disparue. J’y vois plusieurs raisons.

La première semble évidente : la plupart des valeurs de gauche sont devenues celles de notre société. L’école gratuite et obligatoire, la protection des travailleurs, les congés payés, l’accès aux soins : toutes ces idées généreuses pour lesquelles les communistes, les socialistes et les radicaux se sont si souvent mobilisés sont devenues des lois et font partie de notre patrimoine. Depuis longtemps la gauche n’est plus propriétaire de ces idées nobles qu’on appelle justice, redistribution… Chacun se souvient de la formule de Valéry Giscard d’Estaing en réponse à François Mitterrand lors du débat télévisé de la campagne présidentielle de 1974 : « Vous n’avez pas le monopole du cœur. »

La deuxième raison est d’ordre « sociologique ». Dans des sociétés aussi complexes que les pays occidentaux, il est très difficile de croire que la raison appartienne en bloc à un camp ou à un autre. Le philosophe espagnol José Ortega y Gasset l’avait sèchement exprimé en son temps : « Être de gauche ou être de droite c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile ; toutes deux sont des formes d’hémiplégie morale. » Sans aller jusque-là, nous avons compris que tous les problèmes ne se résolvaient pas par un « oui » ou par un « non », que les grandes questions demandent fréquemment des réponses nuancées.

La troisième raison tient précisément aux dossiers qui accaparent notre attention en ce début du XXIe siècle : le changement climatique, les chocs migratoires, l’Union européenne, l’égalité hommes-femmes, etc. Ces questions sont les vrais clivages d’aujourd’hui et ne séparent plus gauche et droite. Elles les traversent toutes deux. Il n’y a plus que le premier secrétaire du PS pour penser que nous avons tous « besoin de la gauche sur la question climatique, par exemple ». Nous avons besoin de projets, de solutions. Pas de déplorations.

C’est l’objet de notre quatrième raison de douter de l’existence de la gauche. Quelle idéologie, quelle vision d’ensemble, quel corpus économique propose-t-elle ? Aucun. Le libéralisme constitue son épouvantail. Son horizon rime avec « dégagisme ». Sus à Macron ! Mais encore ? Les Insoumis veulent-ils nationaliser tous les moyens de production ? Les Verts entendent-ils éclairer la France au vent des éoliennes ? Nous attendons impatiemment leurs propositions. 

Enfin, il faudrait à la gauche une unité, une grande figure qui sache mettre un terme à la guerre des ego. Il faudrait des militants. Il faudrait des cadres. Il faudrait une foi. Et pourquoi pas un peuple de gauche. Or ce dernier a déserté nos écrans radar. La gauche est bien aux abonnés absents. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !