Jamais, peut-être, deux peuples ne se seront autant aimés que ceux de la France et du Brésil. Leur relation, enthousiaste, passionnée, reste cependant marquée par le sceau du malentendu. Les Brésiliens s’imaginent que tous les Français sont riches, instruits, gastronomes et qu’ils vivent dans la paix et la prospérité. Les Français, eux, rêvent d’un Brésil peuplé de mulatas dansantes, lascives, d’une population magnifiée par les bons soins du chirurgien Ivo Pitanguy, de footballeurs et de sambistes colorés. 

Ce tableau est faux, c’est entendu. Ce Brésil de carte postale n’a plus cours – à supposer qu’il l’ait jamais eu. Le colosse aux pieds d’argile, aujourd’hui, vit sous le régime de la dictature institutionnelle. Pas de chars dans les rues, certes. Aucun général d’opérette aux lunettes de verre fumé et aux moustaches menaçantes. Mais un système pyramidal, mafieux, hérité d’une longue tradition faite de paysans sans terre et de fazendeiros. Des aigrefins en costume et hélicoptère privé. Majoritairement blancs car, là encore, le fantasme d’un Brésil sans racisme n’est qu’un joujou que l’on se plaît à agiter sous les yeux des plus crédules. 

Alors ? Le Brésil est-il condamné à demeurer, dans l’inconscient collectif, une nation de second ordre ? Un pays docile, sans conflit, sans guérilla urbaine ? Un simple paradis pour touristes, tout comme Cuba a pu l’être pour les États-Unis, sous la férule de Batista ? Une terre sans conscience politique ? 

Sur tous ces points, ce n’est pas aux Français de trancher. Il convient seulement de rappeler que le Brésil a toujours su par le passé réagir et se battre. Lutter pour sa liberté. Des exemples ? En voici un. En 1964, la dictature de Castelo Branco renverse la jeune démocratie. Durant vingt ans, tous les droits fondamentaux sont bafoués. Les escadrons de la mort assassinent et torturent par dizaines, voire centaines de milliers. Lorsque l’on pense dictature, en Amérique latine, l’on s’accroche aussitôt au Chili de Pinochet, à l’Argentine tragique de Videla. À un mélange de litanies poignantes, miaulées par un tango funèbre. Mais le Brésil ? Une dictature, au pays du samba et du carnaval ? Vous plaisantez ! D’ailleurs, la venue de la bête immonde s’est passée un premier avril... Est-ce bien sérieux ? Et le nom de l’opération qui a porté les militaires à la tête de l’État était l’opération Popeye... Le Brésil est un taquin pacifique, voyons ! Il est indolent. Incapable de se soulever. Il est broyé, depuis sa naissance, par le climat émollient des tropiques. 

Et la marche des Cent mille révoltés ? Et les résistants Carlos Marighella, Câmara Ferreira ou Ana Maria Nacinovic ? Tous, et tant d’autres, torturés et assassinés par les factions militaires. Et que dire des étudiants, des femmes, des ouvriers qui se sont levés, du faubourg pauliste de l’ABC aux banlieues populaires de Belém, Rio de Janeiro, Brasília ou Salvador ? Le sang a coulé. La poudre a brûlé. Et c’est l’amour des Brésiliens pour la liberté qui a vaincu. Tancredo Neves a été porté au pouvoir par le peuple. Il ne l’a pourtant jamais exercé. Juste avant son investiture, il est décédé dans des circonstances étranges, inquiétantes pour une démocratie. 

Les Bolsonaro d’aujourd’hui feraient bien de se méfier. Ce pantin d’extrême droite – qui brigue le pouvoir en déclarant que ses enfants ne se marieront jamais avec des gens de couleur, car ils ont été trop bien élevés pour cela –, cette caricature du tortionnaire Fleury ne sait pas à quoi il s’attaque. Le Brésil est une once, un jaguar. Un chat. Mais un chat qui a des griffes et des crocs pour trancher dans l’infection ultranationaliste.  

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