Les jours de l’automobile sont-ils comptés ? Icône du siècle dernier, celle-ci voit en tout cas son étoile pâlir depuis plusieurs années, à coup de normes environnementales, de zones d’exclusion et de déclarations fracassantes sur la fin de la bagnole. Et le décret gouvernemental de la semaine dernière, durcissant la sanction pour les refus de priorité aux piétons et élargissant le recours aux éthylotests antidémarrage (EAD), ne semble qu’une énième étape de la vaste offensive menée contre le royaume de la voiture.

Au niveau national, la France a, comme la plupart de ses voisins européens, serré la vis depuis plusieurs décennies en matière de liberté des automobilistes. Avec un argument de poids : la sécurité routière. Depuis 1962 et l’instauration de la première limite de vitesse à 60 km/h dans les agglomérations, celle-ci n’a cessé de diminuer sur l’ensemble du réseau, en particulier sur les routes secondaires : 110 km/h en 1970, 100 puis 90 km/h en 1973, en plein pic de mortalité, et enfin 80 km/h depuis le début de l’année. Ce mouvement de décélération s’est accompagné de l’introduction d’un permis à points en 1992, et de contrôles accrus, avec la mise en place de radars automatiques à partir de 2003. Tout ceci a contribué à diviser par cinq la mortalité routière, qui touche encore 3 500 personnes par an.

En réalité, le vrai combat ne se joue pas au niveau des États mais des villes. Des grandes villes. Dans la plupart des capitales d’Europe notamment, la voiture est désormais non grata, ou presque. Dans les années 1960, la ville de Montpellier instaure ainsi la plus vaste zone piétonne européenne, avant que Nantes, Bordeaux et Pau ne lui emboîtent le pas. À Bruxelles, près de cinquante hectares ont été fermés à la circulation. Et Oslo s’apprête à bannir tous les véhicules de la zone centrale, à l’intérieur du périphérique, en 2019, suivant l’exemple d’autres villes interdites aux voitures, comme Venise, Gand ou Dubrovnik. 

D’autres métropoles restent ouvertes aux voitures, mais celles-ci doivent désormais y montrer patte blanche. Les péages urbains se multiplient. Présent à Singapour depuis 1975, ce système a été instauré à Londres en 2003, avec un forfait journalier de 11,5 pounds (13 euros) pour tout véhicule entrant ou sortant du cœur de la ville, à l’exception des véhicules électriques, hybrides ou très peu polluants. Le système, qui a permis une réduction de 10 % du trafic, s’est avéré également lucratif pour la capitale anglaise : la municipalité en tire près de 200 millions d’euros de revenus par an, l’essentiel de cette somme servant à financer l’amélioration du réseau de bus. D’autres grandes villes comme Stockholm, Dublin ou Milan ont également installé des péages à leurs portes, tandis qu’à San Francisco l’entrée du Golden Gate Bridge s’élève à 8 dollars (7 euros), à moins d’être au moins trois dans le véhicule. À Madrid, une amende de 90 euros attend désormais les automobilistes qui ne vivent pas dans le centre-ville ou n’ont pas de place dans l’un des treize parkings officiels de la capitale. Mais c’est peut-être au Japon que le système paraît le plus insolite : là-bas, chaque automobiliste doit justifier d’une place de parking pour obtenir une carte grise, à moins de disposer d’une « kei-car », espèce de minuscule voiture cubique au style délicieusement rétro ! Apparues dans les années 1950, celles-ci font depuis quelque temps un retour en force, portées par une fiscalité avantageuse.

Pour lutter contre la pollution de l’air, responsable de 48 000 morts par an en France, d’autres mesures ont été mises en place. Certaines sont ponctuelles, comme l’instauration d’une journée sans voitures, lancée dans la capitale islandaise Reykjavik en 1996, puis à La Rochelle dès 1997, ou la mise en place d’une circulation différenciée, à Paris, Lyon ou Toulouse notamment : longtemps centrée sur le principe de l’alternance entre plaques d’immatriculation, celle-ci se fonde désormais sur la vignette Crit’air, obligatoire dans plusieurs grandes villes depuis 2017. Cette dernière classe les véhicules en six catégories selon leurs émissions polluantes ; lors des pics de pollution, les véhicules diesel construits avant 2005 (Crit’air 4 et 5) se voient interdits de circulation. Et Paris va plus loin, puisque les véhicules diesel produits avant 2001 (Crit’air 5) n’ont plus le droit d’y rouler que le week-end. Des « zones à faibles émissions » existent désormais dans plus de 200 villes européennes, avec un impact avéré sur les émissions de particules fines et un renouvellement plus rapide du parc automobile, comme à Berlin, où plus de 90 % des véhicules diesel sont équipés depuis 2010 d’un filtre à particules. Dans les métropoles chinoises, enveloppées d’un épais smog, les solutions pour contrer la congestion du trafic sont encore plus radicales. À Pékin, les plaques minéralogiques sont ainsi tirées au sort depuis 2011 : 3,5 millions de Pékinois sont inscrits sur les listes, mais rares sont les chanceux – seulement un sur deux cents ! Autre ville, autre système : à Shanghai, à peine moins polluée, c’est aux enchères que s’acquièrent les précieuses plaques. Cent mille sont proposées chaque année, avec un prix qui grimpe à douze mille euros en moyenne. De quoi encourager l’achat de voitures électriques, puisque celles-ci échappent à ces restrictions.

Autre levier d’action pour réduire l’impact des voitures : le ralentissement de la vitesse en ville. En France, de nombreuses zones ont vu ainsi leur vitesse autorisée passer à 30 km/h depuis 1990 : à Lyon, celles-ci couvrent cinq cents hectares, tandis qu’à Paris les « zones 30 » occupent désormais la moitié de la voirie. À Grenoble, ce chiffre atteint 89 %, avec une limite de vitesse de 30 km/h par défaut dans 43 des 49 communes de l’agglomération ! Sur d’autres grands axes, la voirie allouée aux voitures a été réduite : aménagement de couloirs de bus et de pistes cyclables, rétrécissement de la chaussée, voire destruction de grandes autoroutes urbaines comme à Séoul – depuis 2005, une dizaine de viaducs autoroutiers ont été démolis à travers la capitale coréenne, sans pour autant causer de congestions du trafic.

Quant à Paris, la fermeture polémique des quais de la rive droite de la Seine a mis en lumière les profondes dissensions sur le sujet de la réduction du trafic automobile. Certains y voient une réappropriation de la ville par les circulations douces. D’autres pestent contre le déplacement du trafic sur des voies de plus en plus saturées – un automobiliste parisien passe en moyenne quarante-six heures dans les bouchons chaque année. Et le mouvement ne devrait pas ralentir dans les années à venir : la municipalité a d’ores et déjà prévu l’interdiction totale des véhicules diesel en 2024, avant celle des voitures à essence en 2030. Un objectif à peine plus ambitieux que celui du gouvernement, qui, par la voix de Nicolas Hulot, avait promis l’été dernier l’interdiction des ventes de voitures thermiques à l’horizon 2040. Bref, la guerre à la bagnole à l’ancienne ne fait que commencer. Et les prochaines années s’annoncent déjà électriques. 

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