Notre rapport à la voiture évolue. Alors que nous avions tendance à ne faire qu’un avec elle, nous nous en détachons de plus en plus pour jouir du luxe ultime qu’elle nous offre dans un monde plus dense et agité : un espace d’intimité.

La Peugeot 403 de Columbo, déglinguée et faussement discrète comme son inspecteur de propriétaire, la Ferrari 308 de Magnum, reconnaissable entre toutes comme la moustache de son facétieux conducteur, ou la DeLorean de Retour vers le futur, dynamique et atypique comme ses passagers temporels, sont autant de véhicules iconiques qui, dans leurs rapports à leurs utilisateurs, soulignent l’intensité du lien qui nous unit à cet objet technologique. 

L’automobile reste indéniablement un support identitaire. Instrument de distinction sociale, elle est achetée en fonction de critères rationnels et pragmatiques, mais également culturels et affectifs. Les sentiments éprouvés à l’égard de la machine sont multiples, si bien qu’il y a autant de rapports à l’objet que de conducteurs, comme le décrit avec finesse l’étude d’Hervé Marchal Un sociologue au volant (Téraèdre, 2014).

L’automobile est un support de soi, un étendard de nos valeurs. Elle est l’archétype de l’outil en tant que prolongement de l’être humain. Véritable avatar de son conducteur, elle signale notre fusion avec le monde des objets et nous rappelle notre dépendance aux biens matériels, biens auxquels nous finissons par ressembler. L’on pourrait ainsi dire d’untel comme de Magnum ou de Colombo : « Tiens, il ressemble à sa voiture ! » 

Cette coïncidence avec l’objet explique pourquoi il est si facile d’insulter l’automobiliste d’à côté. Son humanité se confond avec sa machine : nous le catégorisons, le simplifions et le traitons comme une chose. Sur la route, l’autre est littéralement objectivé.

Mais l’automobile change aujourd’hui de nature et passe du support de soi au support du soi. Elle se vit comme un espace d’intimité qui nous permet de faire le point sur notre vie, de nous retrouver avec nous-même. C’est un espace dans lequel on prend le temps de réfléchir sur sa personne, de méditer sur l’existence. Plongé dans le bruit du monde mais protégé par son espace mobile, le conducteur prend le temps de construire une verticalité. L’automobile devient un lieu d’intensité de soi, l’endroit où l’on se raconte les événements de notre quotidien pour les mettre à distance, les classer, les hiérarchiser.

Aujourd’hui, grâce aux aides à la conduite, aux multiples capteurs et systèmes de guidage qui nous délestent de plus en plus du poids de l’environnement, le stress extérieur est atténué. Certes, le sentiment de maîtrise de l’objet diminue, mais il ouvre sur l’opportunité d’un accroissement de la maîtrise… de soi. 

Notre rapport à l’automobile est donc bouleversé. Après avoir été subjugué par l’alchimie de la vitesse puis envoûté par le plaisir de la conduite, le conducteur abandonne peu à peu le pouvoir sur sa machine pour se recentrer sur lui-même. Jusqu’à accepter de devenir bientôt le simple passager de véhicules autonomes. Il est à parier, voire à espérer, qu’il se réfugiera dans le cocon de l’habitacle, pour glisser en toute confiance dans le confort du lâcher-prise. 

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