À aucun moment de ma jeunesse je n’avais imaginé devenir un jour professeure. J’ai toujours eu un regard positif sur cette profession, car ma mère et mon grand-père avaient été professeurs de mathématiques, mais je rêvais d’une vie différente, plus excitante. Après une licence en mathématiques appliquées, j’ai suivi les cours d’une école de commerce parisienne, puis je me suis lancée dans une carrière plutôt classique dans mon milieu : j’ai travaillé pendant dix ans chez Disney, avant d’exercer dans un cabinet de conseil en stratégie spécialisé dans les loisirs. Bref, une carrière orientée business, qui m’a longtemps satisfaite. Jusqu’à ce que je prenne conscience que cette carrière tournait à vide, et qu’il était temps de donner du sens à mon énergie. Il était temps, aux alentours de la quarantaine, de cesser de passer des dizaines d’heures à imaginer une énième campagne marketing, et de m’inscrire dans une démarche de transmission. Les mathématiques m’avaient toujours amusée. J’ai jugé que je pouvais sans doute partager une partie de ce savoir, en même temps que des méthodes et une attitude nourries de mon expérience professionnelle. Alors j’ai profité de la mutation en province de mon mari pour démissionner de mon cabinet de conseil et passer le Capes.

J’ai suivi pendant un an une formation en parallèle à l’ESPE, où la moitié de la promotion avait mon profil, avant de commencer à exercer devant une classe. Et là, pour moi, le choc a été de me trouver pour la première fois devant un public qui n’était pas là pour m’écouter religieusement. Un public qui n’hésitait pas à manifester son ennui et son envie d’être ailleurs. On comprend alors que la bonne volonté ne suffit pas lorsqu’on est inexpérimenté, et c’est très dur à vivre quand on a toujours connu un autre monde professionnel. J’ai pu mesurer à quel point le rôle du professeur, de manière générale, était trop peu valorisé, y compris auprès des parents d’élèves. Il faut commencer à enseigner pour mesurer la réalité du métier, sa difficulté. D’autant, lorsqu’on vient du secteur privé, qu’il faut aussi s’adapter à la rigidité de l’Éducation nationale, ou à l’absence de projets collectifs au sein de l’équipe professorale. Des sites Internet existent bien sûr, où chacun peut partager son expérience, mais on reste souvent seul au sein de son propre établissement. Choisir cette carrière, c’est aussi renoncer à un confort de vie : pour devenir professeure, j’ai dû accepter de diviser mon salaire par trois, ce qui aurait été impossible sans mon mari ! 

Mais ces sacrifices ont une contrepartie, que je cherchais et que je commence à trouver. Car même si elle est parfois difficile, la relation avec les élèves est aussi passionnante. Réussir à les intéresser à une matière comme les mathématiques, faire naître en eux de l’envie, de la curiosité, assister à leurs progrès, c’est un bonheur quotidien. Surtout que notre rôle ne se borne pas à la matière qu’on enseigne ; il est aussi d’aider les élèves à penser leurs études, à résister à la tentation de l’abandon, à imaginer leur avenir avec confiance et envie. Ça ne marche pas toujours, on ne crée pas ce lien avec tous les élèves comme Robin Williams dans Le Cercle des poètes disparus. Mais il suffit d’y parvenir chez quelques-uns pour se sentir pleinement utile. Je ne suis pas encore la professeure que je voudrais être, j’aimerais pouvoir leur donner plus. Mais j’aborde cette seconde rentrée avec enthousiasme, car je sais que je m’en rapproche. 

Conversation avec JULIEN BISSON

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