Commencer dans l’enseignement, enseigner tout court, est un travail prenant. Préparer les cours, faire la classe, vérifier le travail des élèves, corriger les exercices et devoirs… tout ceci représenterait 41 heures par semaine en moyenne chez les enseignants du second degré (43 heures pour les certifiés et 39 heures pour les agrégés, selon une enquête déclarative publiée dans une note d’information du ministère de l’Éducation en 2013). Une autre réalité de ce métier, beaucoup moins quantifiable, occupe l’esprit, le temps et même le cœur des enseignants : celle des élèves qu’ils ont face à eux 18 heures par semaine. 

Les plus sensibles doivent apprendre à mettre les difficultés des élèves à distance. Pendant les premières semaines, les premiers mois, voire pendant des années, ils pensent aux élèves au petit-déjeuner, le soir en se couchant, en parlent à leur entourage – les compagnons et compagnes d’enseignants peuvent en témoigner ! Ce n’est pas seulement parce que la classe est impressionnante ou que les élèves ont une présence intense, sont attachants, énervants, intéressants mais aussi parce que les réalités qu’ils vivent interpellent.

Béatrice a commencé sa carrière dans un collège du Val-de-Marne, et raconte : « J’ai été très surprise ces premières années de découvrir les conditions de vie de certains de mes élèves… Je me souviens d’une élève de cinquième qui vivait seule avec son frère aîné, lui aussi mineur ; les parents étaient partis dans leur pays d’origine depuis des semaines. Il y a des élèves dont un parent est en prison, dont la mère seule tire le diable par la queue et travaille à des horaires qui ne lui permettent pas de voir ses enfants le matin ou le soir. J’enseigne toujours en REP et je continue de rencontrer des situations compliquées. Cela me préoccupe, mais – et je ne sais pas si c’est bien – je ne suis plus surprise. »

C’est pourquoi en éducation prioritaire les équipes qui réunissent professeurs principaux, infirmières scolaires, assistantes sociales et principaux de collège ont toute leur importance pour assurer un suivi des élèves coordonné et proximal. Mais, pour ce faire, il faut bien sûr que les personnels impliqués sachent se rendre disponibles, et surtout qu’ils existent… La France manque d’infirmières scolaires. Quant aux médecins scolaires, la pénurie est alarmante, comme le souligne le rapport du Conseil économique, social et environnemental Pour des élèves en meilleure santé, paru en mars 2018.

Enfin, accepter de considérer ses collégiens comme les enfants qu’ils sont encore (même s’ils détestent qu’on le leur dise !) – complexes, difficiles et parfois violents – n’est pas toujours chose aisée, d’autant moins quand les professeurs ne bénéficient d’aucune formation en psychologie qui leur permettrait de faire face aux cas les plus particuliers. Il y a quelques années, en 2014, l’enseignante Mara Goyet résumait ainsi la situation sur son blog : « Nous sommes les profs de tous les élèves, bons, mauvais, adorables, désagréables, méritants ou non, travailleurs ou glandeurs. Notre enseignement est dû, il ne se mérite pas. » Une forme d’éthique de l’enseignement et de la responsabilité que l’enseignante semble avoir acquise au fil des années, mais à laquelle les enseignants devraient avoir plus de temps pour réfléchir pendant leur formation. C’est ce que préconise Eirick Prairat, chercheur associé au Groupe de recherche sur l’éducation et l’éthique de l’université du Québec à Montréal, auteur de Quelle éthique pour les enseignants ? (De Boeck, 2015). Une éthique qui permet de mieux identifier les dilemmes moraux, d’élaborer son action, de répondre à bien des questions, tant théoriques que pratiques. Son dernier ouvrage, Éduquer avec tact (ESF, 2017), défend une pédagogie à dimension humaine, qui accorde plus d’attention au tact, une vertu que tout enseignant devrait cultiver et mettre en pratique. 

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