Dans le Phèdre de Platon, Socrate s’inquiète au sujet de la méthode d’apprentissage de Phèdre. Ce dernier écrit ce qu’il entend du cours. Il dépose sa mémoire. Selon Socrate, cela l’empêche de se concentrer sur l’essentiel : apprendre, progresser et réussir. Qui, de nos jours, condamnerait un élève qui prendrait en note son cours ? C’est pourtant ainsi : la disruption pédagogique au ve siècle avant J.-C., c’est l’écriture ! Hier le stylet en roseau, aujourd’hui le stylet numérique et l’équipement Internet mobile, la question de l’innovation pédagogique et de l’usage des nouveautés technologiques est un éternel débat. 

J’étais professeur de lettres-histoire-géographie en lycée professionnel. Je me suis toujours intéressé à la question de la motivation des élèves, et à ses effets sur leur apprentissage. Je souhaitais coller le plus possible à leurs besoins afin de les aider à progresser. J’ai eu la chance de pouvoir les suivre tout au long du cycle de trois ans du baccalauréat professionnel. J’avais besoin d’un outil de suivi qui me permette aussi de créer du lien avec mes classes. Je voulais centraliser mes cours, les rendre disponibles aux élèves pendant les vacances et les périodes de formation en milieu professionnel. J’observais d’ailleurs des problèmes d’organisation des idées dans les cahiers. Les élèves peinaient également à ranger les documents à l’intérieur de leurs classeurs ou des espaces de stockage sur le serveur. Avec ou sans numérique, il fallait leur apprendre à organiser, trier, classer, archiver et jeter.

Avec l’émergence du digital, les élèves développent de multiples compétences : la collaboration, la coopération quand ils jouent en réseau, la mise en place de stratégies, le partage et la pratique du consensus. On échoue plus souvent que l’on réussit quand on joue. Il faut procéder par essais et erreurs afin d’y arriver. Ils inventent de nouveaux langages au travers du « parlimage », une méthode d’apprentissage par la photo appelée aussi « photolangage ». Quoi de plus littéraire et métaphorique qu’une photographie accompagnée d’un texte et d’une émoticône. Chaque élément apporte au propos une nuance de sens. La culture numérique développe des habiletés et des capacités. À l’école de les transformer en compétences, mais aussi d’aider l’élève à discerner le vrai du faux, la croyance du savoir, pour qu’il puisse se construire un esprit critique. Si l’élève est devenu l’acteur de son apprentissage, l’enseignant n’a jamais été aussi indispensable.

Lorsque j’enseignais, j’avais à ma disposition un environnement numérique de travail qui contenait un LMS (une plateforme d’apprentissage en ligne). Autrement dit, je possédais un cartable virtuel, un cahier virtuel disponible en permanence. Rien de révolutionnaire : on y trouvait les séances, des tests ou même des évaluations. Pourtant, j’avais une couleur de plus à ma palette pédagogique. Je pouvais enfin mettre à la disposition des élèves l’ensemble des séances. Celles-ci étaient consultables quand l’élève en avait besoin en vacances ou en période de formation au sein d’une entreprise. Il pouvait me poser la question qu’il n’avait pas osé poser en classe. 

Je vois une autre utilité à l’usage des outils numériques en classe. Lors de leur parcours sur la plateforme d’apprentissage, les élèves produisent des données. L’enseignant peut en étudier quelques-unes : la façon dont ils utilisent les ressources, les temps de connexion. En fonction de ce qu’il observe de la pratique de chaque élève, il peut ajuster son cours, entrer dans la différenciation pédagogique. L’intelligence artificielle marquera la prochaine étape pour aller vers une plus forte individualisation de l’apprentissage de l’élève. L’analyse de l’apprentissage (les learning analytics) permet déjà une approche plus fine des traces numériques laissées par les apprenants, ce qui constitue un bon moyen d’optimiser les parcours pour répondre aux besoins des élèves. 

On peut se laisser griser par la nouveauté en perdant de vue l’essentiel : la réussite des élèves. Ce n’est pas le numérique qui fait progresser, c’est la stratégie pédagogique. Comme tout nouvel outil bien utilisé, il facilite la réflexion, il oblige à se poser des questions, à résoudre des problèmes et à chercher des solutions. La nouveauté crée de l’intérêt.

Il est étonnant d’observer que les élèves ne savent pas construire une présentation sur PowerPoint. Mais qui leur a appris ? Dans notre société hyperconnectée, l’illectronisme constitue un handicap de plus à surmonter pour se construire en tant que citoyen et travailleur. Certains jeunes sont victimes du mythe des millenials. Savoir créer un compte sur un réseau social, c’est simplement remplir un formulaire sur une plateforme qui laisse peu de place à la créativité. Cela donne l’illusion d’une compétence. Ne pas savoir se servir correctement d’un outil numérique est une source d’inégalités économiques et sociales. C’est la mission de l’école de combler ce fossé. 

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