Cinq ans au Népal

Il paraît que les chats ont sept vies, Pauline B., la quarantaine, en est déjà à sa troisième : après avoir travaillé à RFI, puis monté des chambres d’hôtes au Népal, elle termine cette année son diplôme d’infirmière. 

En l’an 2000, après des études de droit à Assas, cette grande brune entre à la communication de RFI. Son goût pour l’ailleurs la conduit pour le moment dans cette radio où l’on se préoccupe de l’Afrique et du Monde avec un grand M. Dans la rédaction résonnent des langues étranges, des noms de contrées oubliées, et Pauline se sent bien dans cette ambiance de fourmilière mondiale.

Elle y passe dix ans et exerce son métier avec plaisir. Elle voyage, elle apprend, elle grandit.

En 2010, un plan social lui donne le déclic qu’elle attendait pour quitter la radio. 

« J’avais l’impression de piétiner à Paris, et l’idée d’un départ a commencé à nous travailler, ma nouvelle compagne et moi ; tout était possible, Saint-Martin, le Cambodge… Au moment du plan social, notre appartement, dans le XVIIIe, a été mis en vente ; on s’est dit que c’était le moment d’y aller », raconte-t-elle huit ans après. Après quelques voyages et plusieurs nuits blanches à réfléchir, le Népal s’impose aux deux aventurières. « Le frère de Mathilde vivait déjà là-bas, nous y avions donc un contact sérieux. On ne débarque pas comme ça, le nez au vent, dans un pays comme celui-là. Après, il nous fallait trouver une idée, et une bonne », continue Pauline, qui explique la préparation de ce changement radical d’existence.

Sans compétences techniques ou savoir-faire particulier, avec un bagage plutôt littéraire et des études de droit, il est évident que le projet est plus difficile à monter. « On n’est pas parties en mode sac à dos et advienne que pourra, non, c’est irréaliste. Après un premier voyage là-bas, l’idée des chambres d’hôtes nous a paru faisable, et l’investissement suffisamment léger pour rendre la réalisation possible. » 

La décision est prise, et Pauline lit l’admiration et l’envie dans le regard étonné de ses amis parisiens, son désir de se construire plus loin en est dédoublé. En février 2010, après avoir rendu les clés de son appartement de la rue Lamarck et bouclé sa valise, Pauline monte dans un Paris-Katmandou qui doit la déposer douze heures plus tard aux pieds de sa nouvelle vie, aux portes de l’Himalaya. La maison que les deux nouvelles hôtelières ont décidé de transformer en chambres d’hôtes est située en dehors de la tumultueuse capitale népalaise, au calme, à l’entrée d’un parc national. Les deux jeunes femmes travaillent quelques semaines, et les premiers clients arrivent vite.

Cette atmosphère paisible et les animaux recueillis par Pauline attirent d’abord les familles d’expatriés de Katmandou. Ils viennent s’y reposer et les enfants jouent avec l’âne borgne et les chiens abandonnés. « J’avais récupéré ces animaux auprès d’une ONG, Animals Nepal. C’était la cour des miracles ! » s’amuse-t-elle. Au bout de quelques mois, les voyageurs de passage commencent à y faire étape : la maison d’hôtes s’est agrandie et est avantageusement située à l’orée d’une zone de trek. L’inquiétude des débuts finit par s’apaiser : « J’ai mis un temps fou à me situer dans la ville, je n’arrivais pas à aller d’un point A à un point B : c’est cette perte d’autonomie qui m’a le plus touchée. Au bout d’un an, ça allait mieux, j’avais pris confiance en moi et apprivoisé Katmandou. »

Il a donc fallu attendre un an pour que l’expérience passe du stade de projet à celui de nouvelle vie : « Nous avions les idées très claires : si ça ne marchait pas pour une raison X ou Y, il n’y avait aucune honte à rentrer en France. Nous avions mis un point d’honneur à ne pas rester par fierté… J’avais bloqué sur un compte à Paris l’argent de mon départ de RFI, c’était notre billet retour, notre sécurité. » La guesthouse s’agrandit, et les deux compagnes ouvrent même une boutique-hôtel au cœur de Katmandou. Dans un ancien palais rana, le petit hôtel se veut plus douillet que les chambres à la campagne. Les années passent. Pauline est heureuse de cette nouvelle vie népalaise…

Le 25 avril 2015, un terrible tremblement de terre détruit en partie Katmandou et tue plus de 8 000 personnes. Au milieu de ce chaos, Pauline se débat pour aider à retrouver les corps de deux jeunes Français qui s’étaient installés dans son hôtel. Elle les retrouve, les veille jusqu’à leur départ vers la France, puis envoie leurs affaires aux familles. « Ce désastre a facilité ma décision de quitter le Népal : les chambres d’hôtes étaient détruites, je me suis séparée de Mathilde. Le tremblement de terre est quelque chose de très important pour moi, mais je n’ai pas été traumatisée ; ça a été un second déclic », conclut-elle.

En deux mois à Paris, Pauline relève la tête, reprend ses esprits et réfléchit à un nouveau projet. Son expérience lors du tremblement de terre la décide à se consacrer aux autres. Elle prépare son diplôme d’infirmière avec l’idée de se spécialiser dans les maladies mentales. Étudiante à quarante ans, la jeune femme a retrouvé son autonomie, au guidon d’une moto japonaise. « La liberté qu’offre ce métier, tant dans les horaires que dans les possibilités de l’exercer, me convient parfaitement. Le plus dur a été de se mettre à réviser les sciences, j’ai bossé comme jamais avant, mais aujourd’hui, je suis en stage la plupart du temps, et j’adore ma nouvelle vie ! » sourit-elle place du Champs-de-Mars, avant de courir vers ses deux dogues népalais ramenés en soute. Eux aussi ont dû goûter avec elle aux délices du changement de vie. 

Une entreprise bien ficelée

Entre un changement de vie et un changement de mode de vie, il y a quelques nuances : pour Alexis Roux de Bézieux le passage de l’audit financier au métier d’épicier s’est fait dans la confiance. « J’ai passé dix ans chez Arthur Andersen à faire des fusions-acquisitions, et le moment venu, parce que l’idée de changer me paraissait réalisable, j’ai négocié mon départ, et puis je me suis assis devant une feuille blanche… Que faire ? » raconte le jeune épicier. « J’avais déjà écrit L’Arabe du coin, un livre sur les épiciers parisiens, et l’alimentaire s’est imposé à moi assez vite. J’ai travaillé deux ans d’arrache-pied sur mon projet : je me suis vu passer du stade du penser faire à celui du faire. » 

De A à Z, Alexis monte son projet, le nom, l’image, le financement : le dossier s’épaissit, les petites briques s’accumulent les unes après les autres. Ce sera Causses, et ce sera l’épicerie qu’il rêvait d’avoir en bas de chez lui : simple, belle et bonne. « Pas une épicerie fine hors de prix, plutôt un lieu de vie et de plaisir, insiste-t-il. Aujourd’hui, j’ai trois magasins d’alimentation générale de qualité, et nous sommes trente-sept à y travailler. J’ai tout donné pour mon projet… J’ai fait tapis pour lancer le premier magasin ; j’ai vendu mon appartement, et mis tout l’héritage de mon père dedans. J’ai pris un gros risque, et j’ai mal dormi pendant six mois ! » s’amuse ce jeune père d’une quarantaine d’années.

« J’avais peur de me dessécher si je ne le faisais pas : changer de vie s’est imposé à moi, mais je l’ai fait ultrasérieusement, entouré d’un comptable de compétition et d’un coach de confiance », explique le chef d’entreprise qui a décidé assez rapidement de ne pas aller prendre de conseils auprès des « cadors du métier », qui ont chacun leur mot à dire sur le sujet. La recette de son succès ? « J’ai mis les mains dans les tuyaux, j’ai appris mon métier, j’ai travaillé à Rungis, puis dans une fromagerie, je connais toutes les tâches de ma machine, et chacune est importante, du stockage à l’étiquetage. Je m’excite pour des microdétails, et ça, c’est vraiment un bonheur. » 

Ce qui a changé pour lui ? « Mon réseau s’est transformé, je côtoie des créateurs qui ont un compte en banque plus petit, certes, mais qui ont des étoiles dans les yeux. On vient vers moi aujourd’hui pour me demander des conseils ou me proposer des choses, je ne refuse jamais de parler de mon travail, et mes journées ne se ressemblent pas. Je suis un épicier à la fois à l’ancienne et un peu du futur… » Ses conseils pour se lancer ? « Travailler avec des gens qu’on aime, se donner le temps, ne pas trop rêver et trouver le comptable de choc qui pourra accompagner le projet ! » Aujourd’hui, Alexis a ouvert trois belles épiceries dans Paris « où on ne vend pas des tomates en plein hiver et où on connaît les producteurs de nos fromages », et il en parle avec admiration et sagesse : « Si tout s’arrête, j’ai tellement appris depuis l’ouverture du premier magasin, en 2011, que je trouverai en moi les idées pour rebondir. »

Succes story en tablier de cuir

Le retour aux bons produits serait-il une mode chez les jeunes hommes diplômés ? « Une prise de conscience et une quête de sens, je dirais », répond Damien Zeller, boucher versaillais, ex-directeur commercial et financier d’une grande entreprise. 

La bascule se fait en 2013, après deux décennies à la Défense, quand ce père de cinq enfants se demande ce qu’il va faire pendant la seconde partie de sa vie professionnelle.

« J’ai réfléchi, et j’ai tiré les fils de mes idées : j’avais une seule certitude, je voulais travailler en lien avec la Corrèze, ma région natale. Très vite, j’ai pensé aux éleveurs, et l’idée de la boucherie a fait son chemin. Je partais de loin, je connaissais à peine les parties du bœuf ! » raconte celui qui aujourd’hui peut découper un quartier de veau les yeux bandés. Concours de circonstances ou signe du destin, la boucherie Gaudin de Versailles est en vente. Le boucher veut prendre sa retraite et tombe sous le charme de ce jeune homme passionné, mais sans expérience. Damien a besoin d’un peu de temps, et les deux ans pendant lesquels il se forme sont intenses : « Je suis passé d’un bureau et d’un tableau Excel à un couteau et un tablier, d’un métier plutôt cérébral à quelque chose de très physique. Mon corps a souffert plus que mon esprit ; à partir du moment où je me suis lancé, je n’ai plus eu peur. » 

CAP en poche, l’ancien col blanc de la Défense reprend la boucherie emblématique de Versailles. Il s’entoure de jeunes bouchers passionnés et fait appel aux meilleurs producteurs de Corrèze et d’ailleurs : « Notre métier est en train de changer : les consommateurs sont de plus en plus exigeants sur l’origine des produits. C’est aussi cette prise de conscience et cette économie plus harmonieuse qui m’ont attiré. Je suis heureux de défendre nos belles campagnes ! » Derrière cette success story en tablier de cuir, il y a la femme de Damien : « C’est une histoire de famille avant tout : ma vraie vie, c’est ma vie privée, si mon épouse n’avait pas été à l’aise avec ma décision, j’aurais abandonné ; mais elle avait confiance. » Au début, l’investissement est lourd, et le train de vie de la famille change, mais une bonne boucherie, même à notre époque où les végans sont féroces, ça marche toujours. « Aujourd’hui, je suis heureux, et trois ans après la reprise de la première, j’ouvre en septembre une seconde boucherie ; je vais pouvoir varier les plaisirs, mettre à nouveau la Corrèze à l’honneur ! » conclut Damien Zeller, emblème de cette génération de néoartisans passionnés et conquérants. 

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