Changement : aucun mot n’est plus trompeur, insuffisant, ramasse-tout – et peut-être inutile. On ne change pas de coiffure comme on change de vie, de conjoint, de métier ou de nationalité. Il y a tant de changements possibles ! Choisis ou subis (mais de tout changement, même choisi, nous aurons à subir les imprévus) ; petits ou grands (mais chacun sait que de petits changements peuvent parfois conduire à de grands bouleversements) ; heureux ou douloureux (mais toutes les écoles de sagesse nous recommandent de suspendre nos jugements sur le changement : qui sait si ce qui nous afflige aujourd’hui ne se révélera pas une chance demain ?)…

Alors, peut-être devrions-nous renoncer à l’usage du mot, et lui préférer des termes plus précis, des synonymes nuancés : modifier, ajuster (changements de détail) ; évoluer, se renouveler (changements de surface) ; chambouler, révolutionner… Il n’existe d’ailleurs pas de terme opposé aussi fourre-tout que « changement » : on peut faire preuve d’immobilisme (on ne change rien par passivité), de conservatisme (on ne change rien par lutte active contre la nouveauté), de passivité (on n’est ni pour ni contre le changement, juste contre toute forme d’effort et de décision)…

Les études de psychologie scientifique montrent la coexistence dans nos cerveaux à la fois d’une aversion à l’incertitude et d’un appétit pour la nouveauté. D’où la tension en chacun de nous entre l’envie et la peur du changement. Mais le changement reste plus valorisé que le non-changement, comme s’il révélait chez l’humain une obscure nécessité. 

C’est pourquoi nous avons construit à propos du changement des savoirs et des règles, qui relèvent souvent plus d’un art que d’une science. Nous identifions ses étapes, de difficulté croissante : d’abord décider, puis initier, enfin maintenir le changement (prendre une résolution ou une décision n’est rien, c’est s’y tenir qui est tout). Puis ses obstacles : le manque de méthode et de persévérance, certes, mais aussi la peur du changement (que vais-je perdre et que vais-je gagner ?), la paresse, les regrets…

Et une dernière interrogation, lancinante : tout changement n’est-il qu’une illusion ? Une de mes patientes, déprimée chronique, me racontait ainsi : « Tous mes proches me disent de changer des choses dans ma vie : mon logement, mon travail, m’occuper de moi, partir en vacances… Ils ne se rendent pas compte que je peux déprimer partout ! » Au fond, la finalité de tout changement de vie extérieure est d’aller vers un mieux intérieur, d’être plus heureux, plus épanoui, moins stressé. Alors n’y aurait-il de vrai changement que psychologique ? Bien sûr que non, les liens sont simplement à double sens : le changement environnemental facilite le changement mental mais ne le garantit pas ; et le changement psychique a besoin, pour s’accomplir, de s’appuyer sur des changements physiques ou symboliques. Quand je vous le disais, que ce terme « changement » est plein de fourberie !

Mais il y a pourtant une certitude : le changement est inévitable dans nos vies. Car la vie, par définition, est le changement même, elle est une suite de changements constants. Montaigne le notait avec malice et poésie : « Le monde n’est qu’une branloire pérenne : toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte : et du branle public, et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant. » (Essais, III, 2.) Que nous le voulions ou non, notre vie change, et nous avec, et il n’est en notre pouvoir que d’accélérer ou de freiner le phénomène. Ce qui n’est déjà pas si mal… 

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