Jeanne d’Arc entra à Orléans le 8 mai 1429. Le 10, la nouvelle fut enregistrée au Parlement de Paris par le greffier Clément de Fauquembergue qui dessina à la plume, dans la marge de son registre, le portrait de la Pucelle telle qu’on la lui décrivait : elle a 17 ans, elle est habillée en femme, décolletée ; elle a sa bannière dans la main droite et dans la gauche son épée « qu’onques n’a tué homme ».

C’est le seul portrait que l’on connaisse d’elle qui ait été réalisé de son vivant. C’est aussi, sans doute, le seul désintéressé, autrement dit le seul qui n’a pas eu pour but de promouvoir une des destinées, un des rôles parfois contradictoires qu’on lui a prêtés : l’humble chrétienne, la bergère inspirée, la preuse de ses compagnons, la chef de guerre, la restauratrice du trône et la victime de l’Inquisition devenue la martyre tout court.

Le XVe siècle, qui a été l’époque du portrait, n’a laissé de Jeanne d’Arc que quelques enluminures, c’est-à-dire des images privées.

Il faut attendre 1581, cent cinquante ans après sa mort, pour qu’un tableau la glorifie : à Orléans, qui a toujours entretenu sa mémoire, ce tableau commandé par les échevins après une visite d’Henri III, célébrait une Jeanne d’Arc en costume du XVIe siècle, coiffée d’un chapeau empanaché. La Renaissance l’y assimilait à Astrée, la juste et vertueuse fille de Zeus devenue la constellation de la Vierge.

Pendant trois siècles, ce tableau resta le prototype des représentations – relativement sporadiques – de la Pucelle. L’image ne fut véritablement dépassée qu’au XIXe siècle, après un long effacement.

En 1837, la jeune princesse Marie-Christine d’Orléans, fille de Louis-Philippe, sculpta dans le marbre une Jeanne d’Arc en prière. Debout, en armure, nu-tête, le casque et les gantelets posés derrière elle, elle serre son épée sur son cœur. Cette image de Jeanne fut la première à être reproduite à grande échelle : on la vit dans les jardins et les écoles, sur les cheminées et les pendules.

Pour les fêtes de 1854 à Orléans, la ville commanda à Ingres Jeanne d’Arc assistant au sacre de Charles VII à Reims. Jeanne est cette fois en gloire : auréolée avec soixante-six ans d’avance sur sa canonisation, la bannière haute, les yeux au ciel, la main sur l’autel, une hache au côté. Pédanterie, dira Baudelaire. L’humble pastourelle était devenue héroïne nationale.

Une troisième œuvre du XIXe siècle, également très célèbre, fut commandée par Jules Simon à Emmanuel Fremiet : c’est la statue équestre dorée de Jeanne allant au combat, qui fut inaugurée en 1874 place des Pyramides à Paris ; une autre Jeanne cavalière et chevalière fut sculptée par Paul Dubois en 1896, qui fut posée devant la cathédrale de Reims et à Paris devant l’église Saint-Augustin.

Ces quelques œuvres représentent les différentes utilisations qui ont été faites du personnage de Jeanne, dans les domaines historique, patriotique et religieux, trois grandes passions françaises : Jeanne fut l’héroïne de tous, avec des appropriations souvent antagonistes.

Les images de Jeanne d’Arc s’étaient multipliées avec l’engouement du romantisme pour le Moyen Âge. Dans son Histoire de France, Michelet consacra en 1841 des pages pathétiques au supplice de la Pucelle : « Le sauveur de la France devait être une femme. » En même temps, l’anticlérical Jules Quicherat publiait les minutes du procès de Jeanne.

Cent cinquante peintures et sculptures furent exposées dans les Salons. La plupart sont aujourd’hui dans des musées. Tous les épisodes connus de la vie de Jeanne ont servi à couvrir les murs des mairies (Jean-Paul Laurens à Tours) et même du Panthéon (où les quatre scènes de Jules Lenepveu avaient été jugées par la commission d’approbation comme manquant de fougue et de grandeur).

Les églises vinrent à Jeanne d’Arc plus tard. Quand il fut nommé évêque d’Orléans en 1849, Mgr Dupanloup craignit d’abord que la popularité de Jeanne n’alimentât le nationalisme anticlérical davantage que le patriotisme catholique. Mais c’est lui qui, vingt-cinq ans plus tard, provoqua l’ouverture du procès en béatification auquel Henri Wallon, ministre de l’Instruction publique et des cultes, déposa un mémoire.

Le même Henri Wallon avait publié, avec la bénédiction de Pie IX, l’un des gros volumes consacrés à Jeanne d’Arc qui parurent à l’époque. Il en livra plus tard une version illustrée et complétée d’une iconographie de la Pucelle.

En 1894, Jeanne franchit la première étape vers la canonisation en devenant « vénérable ». Elle fut alors représentée sur quatre vitraux de la cathédrale d’Orléans ; son nom fut donné à des églises, à des institutions scolaires et à seize navires de la Marine nationale.

Le procès de canonisation fut le plus long des procès de Jeanne. Béatifiée en 1909, elle fut canonisée le 16 mai 1920. « Benoît XV, explique l’historien Jacques Le Goff, tenait à effacer auprès des Français l’attitude peu bienveillante du Vatican pendant la Grande Guerre. » En juin 1920, la Chambre bleu horizon adopta l’institution d’une fête nationale de Jeanne d’Arc, sur proposition de l’écrivain et député nationaliste Maurice Barrès. Et, en 1922, Pie XI déclarait sainte Jeanne d’Arc patronne et gardienne de la France.

Entre-temps, Jeanne n’était plus seulement celle qui avait bouté l’Anglais hors de France. Elle était devenue Jeanne la Lorraine, et sa bannière avait été plutôt celle du nationalisme revanchard. Elle réunissait des hommes aussi différents que Barrès, Péguy et Bloy. Boutet de Monvel, dans une Vie de Jeanne d’Arc célèbre (1896), la montre épée au clair, emmenant une charge de fantassins en capote bleu horizon sous un drapeau tricolore. En 1900, un film de Méliès consacré à Jeanne s’ouvrait sur un drapeau tricolore et la devise « Honneur et Patrie ».

Après la Première Guerre mondiale, Jeanne figura sur les monuments aux morts avec saint Michel.

La Deuxième Guerre mondiale fut plus laïque, mais le général de Gaulle se référa souvent à elle dans ses messages et indirectement par la croix de Lorraine. Tandis que Vichy célébrait plutôt en Jeanne une anglophobe.

À Paris, aujourd’hui, outre les statues dues à l’industrie sulpicienne qui sont encore vénérées à l’intérieur des églises, on compte une demi-douzaine de statues de Jeanne d’Arc érigées dans des lieux publics, dont celle de Saint-Denys de la Chapelle où Jeanne, blessée, fut soignée : en armure, elle porte son étendard devant une basilique dont le projet grandiose ne fut jamais mené à terme.

Au cinéma, après l’extraordinaire interprétation de Renée Falconetti en 1928, le deuxième XXe siècle vit le rôle de Jeanne d’Arc successivement endossé par Ingrid Bergman (1948), Michèle Morgan (1954), Jean Seberg (1957), Florence Carrez-Delay (1962), Sandrine Bonnaire (1994) et Milla Jovovich (1999).

En 2018, pour les fêtes annuelles de Jeanne d’Arc, la ville d’Orléans choisit pour l’incarner une jeune fille polonaise par sa mère et béninoise par son père. Ce choix provoqua les protestations que l’on imagine dans les milieux que l’on devine. La Pucelle, pourtant, n’avait pas toujours été blanche, si l’on en croit Shakespeare qui lui fait dire dans Henry VI, alors qu’elle parle au dauphin de ses révélations : « Jusque-là, j’étais noire et basanée ; les rayons splendides que [Notre Dame] a répandus m’ont parée de cette beauté que vous me voyez. » 

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