Scènes de transe, fumigènes, foule en liesse, spots multicolores… c’est dans cette ambiance survoltée que se défoule la jeunesse égyptienne. La scène a lieu pendant un mariage, « un espace de liberté dans la société traditionnelle », souligne Hind Meddeb, réalisatrice du documentaire Electro Chaabi (2013). C’est au cours de ces événements festifs que s’est imposé un nouveau genre musical dans les quartiers populaires du Caire, à la faveur des révolutions arabes : le mahragan (qui signifie festival), rebaptisé électro chaabi. À Mataria, Imbaba ou Madinat al-Salam, bidonvilles de la capitale égyptienne, on entend ces chants contestataires qui expriment sans fard la dure réalité du quotidien, opérant un mélange détonnant entre musique soufie, électro, rap ou ragga jamaïcain. Les jeunes musiciens puisent leur inspiration dans le malaise social. « Dans leurs textes, ils parlent des filles, de la drogue, de la vie au quotidien, des problèmes d’argent… », nous dit Hind Meddeb. « J’ai pris la voie du vice par le vice », ou encore « Tu m’as fait boire jusqu’à l’ivresse ! J’étais complètement saoul quand tu m’as ramené chez mon père. Ça t’a bien fait rire, mais moi je me suis pris la plus grosse torgnole de ma vie ! », peut-on entendre dans ces chants. MC Sadate, l’une des figures charismatiques de l’électro chaabi, développe un discours plus politique où il dénonce toute forme d’injustice et de discrimination. Mais pour Mahmoud Refat, producteur chez 100 Copies Music, « ce ne sont pas des activistes, ce sont avant tout des artistes ». L’électro chaabi révèle certains tabous profonds de la société égyptienne, ce qui n’est pas du goût de la classe conservatrice. « Ils ont reproché à ces jeunes de tirer la société vers le bas », déplore Mahmoud Refat. « Ces réactions révèlent une forme de schizophrénie de la société égyptienne », confirme la réalisatrice. 

Au fur et à mesure, le phénomène a pris des proportions spectaculaires. « Au début, c’était des mecs qui bidouillaient des trucs sur leurs ordinateurs. Cela a pris de plus en plus d’importance », constate la jeune femme. Phénomène de mode ou émergence d’un nouveau genre musical ? Force est de constater que cette musique s’exporte aujourd’hui à l’international. Certains artistes signent avec des majors, se produisent dans des festivals en Europe. Le mouvement a largement dépassé les frontières du Caire. « Cela s’est développé d’une manière fulgurante, nous dit le producteur Mahmoud Refat. Des milliers de jeunes téléchargent cette musique de partout dans le pays. Pour la première fois, ils peuvent s’identifier à une forme artistique qui les représente, révèle leur quotidien. Cette musique incarne aussi un mode de vie, une liberté. » Oka et Ortega, deux icônes de l’électro chaabi, sont devenus des stars: ils courent les plateaux télévisés, tournent des spots publicitaires et leur page Facebook recense près de deux millions de « like ». « Aujourd’hui, il existe une tendance très commerciale de l’électro chaabi représentée par Oka et Ortega. Pendant le tournage du film, ils sont soudain devenus inaccessibles. Une autre tendance, restée plus underground, est incarnée par Sadate qui est de son côté demeuré fidèle à ses principes », précise Hind Meddeb. Devenu un repère pour les jeunes des quartiers, MC Sadate « est l’équivalent d’un Bob Marley ! », s’enthousiasme Mahmoud Refat. Qu’il soit spectaculaire ou plus confidentiel, ce succès donne de l’espoir à la jeunesse défavorisée. « Ils savent qu’ils peuvent s’en sortir par la musique, se référer à des modèles qui leur inspirent une ligne de conduite », observe Mahmoud Refat. Notons tout de même que les femmes sont totalement absentes de la scène.

 

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