Dans la ville du Caire
aujourd’hui violentée de toutes parts, existait une synagogue où reposa un temps ce qui restait du grand Maïmonide, Moïse ben Maïmon, dit le Rambam. Sous la synagogue Ben Moshé, se trouvait une crypte et sur le parvis, une cabane où se tenait le rabbin Entebi, grand guérisseur devant l’Éternel. Tobie Nathan, juif d’Égypte né au Caire et chassé de son pays natal par le Raïs Gamal Abdel Nasser en 1956, raconte comment sa mère consulta le rabbin guérisseur quand elle avait cinq ou six ans. Elle cauchemardait, appelait
au secours au réveil, bref, elle n’allait
pas bien.

Sa mère confia la petite à la tante Engela en lui donnant une assez grosse somme d’argent. Le rabbin demanda à la tante Engela comment s’appelait l’enfant. « Renée Israël. » Et sa mère ? « Bertha el Cohen. » Puis il avait demandé pourquoi elle était là et la tante avait parlé de cris et de sursauts nocturnes. Le rabbin avait posé son livre de prières sur la tête de la petite Renée et en avait conclu que Renée et sa tante devaient « aller dormir dans la crypte » tout contre le tombeau où n’était plus Maïmonide, transporté à Tibériade depuis longtemps. Il n’était plus là physiquement, mais son esprit, sa « baraka », demeurait encore dans sa tombe éphémère. 

On avait donc aménagé quatre coins où les patients pouvaient dormir, la tête en contact avec la pierre tombale. Renée et sa tante descendirent dans la crypte et contre toute attente, en plein jour, la petite fille qui dormait si mal et que ses cauchemars réveillaient la nuit en sursaut s’endormit, la tête touchant la tombe où le philosophe n’était plus. Elle rêva, mais plus tard elle ne put se souvenir de ce rêve qu’elle avait pourtant fidèlement rapporté au rabbin guérisseur. 

Bien sûr, la petite Renée fut guérie de ses cauchemars. Cette technique de l’incubation existe partout au monde, en Grèce antique, au Japon, en Iran, à Bornéo. Dans son livre sur le cauchemar, le psychanalyste anglais Ernest Jones parle de l’incubation, dont le nom ne rappelle pas pour rien la couvaison des œufs, ou le temps qui sépare la contamination et l’apparition des premiers symptômes d’une pathologie contagieuse. Pendant le temps de l’incubation, le patient se recueille dans le sommeil, un dieu protecteur lui envoie un rêve qui guérit au réveil. Le dieu protecteur est un grand penseur juif, et alors ? Immense thérapeute, Maïmonide n’est-il pas l’auteur du Guide des égarés ? À lui de remettre les petites filles dans le droit fil du sommeil, et ouste !

Nul ne sait où sont aujourd’hui les dieux d’Égypte, tous les dieux, qu’il s’agisse des dieux à tête de faucon, de vache ou de vautour ou bien des dieux uniques, de l’Éternel, roi des armées, du Christ ou d’Allah. Renée, mère de Tobie, consulta avant la fin des années trente et son fils français s’apprête à écrire un livre sur Le Caire qui nous en dira plus. En attendant, chacun peut se rapporter à la Nouvelle Revue d’ethnopsychiatrie, numéro 31, août 1996, où parut le récit de Tobie Nathan sur l’incubation de sa mère auprès de la baraka de Maïmonide.

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