Un enfant, un enfant, un enfant ! J’ai voulu un enfant de toi
et moi, en ce temps-là, en ces jours de l’extase ardente
où mes os eux-mêmes tremblaient sous ton roucoulement
et un immense éclat grandissait sur mes tempes.

Je disais : « Un enfant ! », comme l’arbre en émoi
au printemps vers le ciel allonge ses bourgeons ;
un enfant qui aurait, plus grands, les yeux du Christ,
le front plein de stupeur, des lèvres de désirs !

Ses bras en guirlande à mon cou tressés ; le fleuve
de ma vie descendant, fertile, jusqu’à lui,
et mes entrailles tel un parfum répandu
de sa marche imprégnant les collines du monde.

Croisait-on une mère et son ventre alourdi,
nos lèvres se crispaient et nos yeux suppliaient,
quand avec notre amour nous traversions les foules.
Un enfant aux yeux doux nous laissa comme aveugles !

Dans les nuits sans sommeil, de bonheur, de visions,
la luxure de feu a ignoré mon lit.
Pour celui qui naîtrait habillé de chansons
je tendais mes deux bras, je creusais ma poitrine…

Le soleil pour son bain ne me semblait trop vif ;
me regardant, je haïssais mes genoux rudes ;
mon cœur, confus, tremblait devant le don grandiose
et sur mes joues roulaient des pleurs d’humilité.

Je n’ai pas craint la mort, l’horrible destructrice ;
ses yeux arracheraient les tiens à leur néant,
et dans l’aube splendide ou le jour incertain
j’aurais acheminé mes pas sous ce regard…

[…]

À 16 ans, Gabriela Mistral s’éprend d’un mauvais garçon. Il mourra avant de lui avoir donné un enfant. Un regret qui irrigue les vers ci-dessus, aux images concrètes comme la nature. Protectrice des humbles, l’institutrice devenue diplomate adoptera un fils en 1933. Et recevra le prix Nobel de littérature en 1945. 

 

 

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