L’infertilité est-elle en augmentation en France ? 

On observe surtout une transformation des causes de consultation. Il y a vingt ans, je recevais pour des infertilités liées à des pathologies : trompes de Fallope abîmées ou infertilité masculine, par exemple. Mais avec l’augmentation de l’âge de la première grossesse chez les femmes, il en découle une forme d’infertilité non pathologique, due au vieillissement ovocytaire. C’est le résultat d’une évolution physiologique, injuste pour les femmes, mais qui est devenue une cause d’infertilité prédominante à la fois par ce décalage de l’âge des premières grossesses et par l’importance des divorces et des nouvelles unions. 30 à 40 % des patientes qui fréquentent mon cabinet pour des problèmes de fertilité ont plus de 38 ans, c’est énorme. 

Pourquoi les femmes ont-elles plus de difficultés à procréer en vieillissant ?

L’homme produit constamment des spermatozoïdes jusqu’à sa mort, tandis que la femme naît avec un stock d’ovocytes qui se constitue pendant la vie fœtale, à trois mois. À partir de la puberté, chaque mois, des follicules disparaissent et son stock s’amenuise au fil du temps, de façon inégale d’une femme à l’autre. Certaines sont ménopausées à 40 ans, d’autres à 60 ans. Quant à la stérilité, elle survient en général une dizaine d’années avant la ménopause. On comprend dès lors que des femmes puissent être infertiles dès l’âge de 30 ans. Le stock des ovocytes décroît donc en nombre, mais aussi en qualité, avec une augmentation des anomalies génétiques. Or la viabilité des embryons dépend très fortement de la qualité des ovocytes : on sait que la probabilité de faire une fausse couche est de 20 % à 20 ans, de 40 % à 40 ans. Il y a aussi des facteurs extérieurs, comme le tabac : une femme qui fume est ménopausée en moyenne deux ans plus tôt qu’une non fumeuse. Sans oublier l’énorme champ des perturbateurs endocriniens, pour lesquels on a une forte suspicion mais pas de certitude absolue. 

Les hommes sont-ils aussi concernés ? 

Très concernés. On pense que 40 % des infertilités seraient liées soit à une cause masculine isolée, soit à une cause masculine associée à une cause féminine. Des études ont montré l’impact notamment de toxiques pesticides dans des bananeraies antillaises : tous les hommes qui y travaillaient étaient stériles. Dès qu’ils cessaient d’être exposés à ces produits, ils retrouvaient leur fertilité. 

Combien d’enfants naissent aujourd’hui grâce à une aide médicale ?

3 à 4 % des enfants naissent aujourd’hui en France par assistance médicale. Le nombre de cas a beaucoup augmenté : plus de 130 000 traitements par an, dont 60 000 FIV [fécondation in vitro], avec un taux de succès d’environ 20 %. La contribution de l’assistance médicale à la procréation reste donc mineure, mais elle est très importante pour les gens concernés.

Est-ce encore un tabou en France ? 

Ça l’a toujours été. Quand j’ai fait ma thèse de médecine, je me suis intéressé au devenir des enfants issus de PMA. J’ai contacté toutes les femmes traitées par l’équipe du professeur Frydman. Certaines me disaient : « J’espère que vous n’avez rien dit à ma mère. » Cela m’a toujours surpris. Il y a un sentiment de handicap à ne pas pouvoir faire des enfants.

Pourquoi le parcours de la FIV est-il si pénible ? 

On ne parle pas assez de la souffrance de ne pas pouvoir avoir d’enfant. C’est cette souffrance, souvent minimisée, qui rend le parcours si difficile. Les traitements se sont simplifiés, on ne fait plus de prise de sang tous les jours… Aujourd’hui, 80 % des femmes font elles-mêmes leurs injections, c’est très simple. Mais cela demande une certaine disponibilité. Beaucoup sont confrontées à un manque d’acceptation de la part de leur employeur. C’est aussi un parcours aux airs de montagnes russes émotionnelles, avec une succession constante de bonnes et de mauvaises nouvelles. Le succès d’une FIV n’est jamais certain. 

La FIV entraîne-t-elle une forme d’inégalité sociale ? 

Pas en France. Dans le système public, vous pouvez avoir recours à la FIV sans dépenser un euro. Tout est pris en charge pour quatre tentatives de FIV par enfant. Dans le privé, des suppléments existent mais le reste à charge pour le patient est d’environ mille euros. 

Derrière la question de l’infertilité, se cache aussi la question d’un éventuel droit à l’enfant… 

Ce « droit à l’enfant » est pour moi une invention totale des opposants à la PMA. Je n’ai jamais rencontré une seule femme en vingt ans qui m’ait dit : « Docteur, j’ai droit à un enfant. » La plupart de ces femmes sont dans un désir d’enfant. Elles seraient déçues que la médecine ne leur permette pas d’en avoir, mais elles ne revendiquent pas un droit. 

La cryogénisation des ovocytes est-elle une première solution pour les aider ? 

La congélation des ovocytes est une solution théorique, mais elle ne constitue pas une garantie d’avoir un enfant. C’est important de ne pas faire croire aux femmes qu’en congelant dix ovocytes, elles auront trois enfants. Grosso modo, si elles congèlent une quinzaine d’ovocytes avant 35 ans, elles disposeront de 75 % de chances d’en avoir un. Cela dit, je suis favorable à l’autoconservation des ovocytes, et je ne comprends pas le refus du CCNE à ce sujet. Chaque fois que l’on a cherché à s’intéresser à la reproduction, il y a eu des gens contre, sous prétexte que l’on modifie la nature.

Dans les années 1980, la France était en pointe par rapport à ces questions reproductives. Aujourd’hui elle semble avoir pris du retard. Pourquoi y a-t-il de telles résistances dans notre pays ?

À l’époque, il n’y avait pas tant de questions éthiques. Les autres pays avancent en Europe, quand chez nous le politique est en retard par rapport aux demandes de la société. Résultat : on soigne moins bien l’infertilité en France, en termes d’ouverture bien sûr, mais même nos résultats sont moins bons ! Les femmes françaises en difficulté ont presque deux fois moins de chances de tomber enceintes qu’ailleurs. Ceci est dû, en partie, à l’interdiction de pratiquer le diagnostic génétique des embryons, autorisé dans d’autres pays, mais c’est aussi lié au fait que la recherche dans le secteur de la procréation est mal payée, avec très peu d’investissements, et une pénurie d’incubateurs dans les laboratoires. Le miracle de la FIV, c’est la biologie. Or la recherche sur l’embryon, en théorie autorisée, est aujourd’hui très peu soutenue. 

Quelle est l’urgence dans le combat contre l’infertilité ? 

Il n’existe pas d’urgence unique, mais l’interdiction de l’autoconservation des ovocytes n’a pas de sens. Il faut mener une réflexion sur cette question. Idem pour la question du don d’ovocytes : de plus en plus de femmes vont faire des enfants tard et vont donc avoir besoin d’ovocytes, un procédé compliqué en France en raison de la sacro-sainte gratuité du don. Or, dans tous les pays où cela marche, il y a un dédommagement, voire une rémunération. C’est un vrai problème, car j’estime à 10 000 le nombre de femmes contraintes d’aller à l’étranger chaque année, contre 300 dons en France. Pour qu’une femme soit autorisée ici à congeler ses ovocytes, il faut qu’elle soit exposée à une pathologie qui risque de la rendre stérile, comme le traitement du cancer.

Quelles seront les techniques d’avenir pour lutter contre l’infertilité ? 

La recherche s’active dans plusieurs domaines. Le premier, c’est le ralentissement du vieillissement ovocytaire, afin de permettre aux femmes de conserver leur patrimoine génétique. Des études sont esquissées sur les cellules-souches et les mitochondries de l’ovocyte, mais elles mériteraient d’être davantage poussées et de devenir une priorité. Celles sur l’infertilité masculine ont, hélas, dans l’ensemble été abandonnées : la technique de l’ICSI [voir glossaire] est si efficace qu’on n’en recherche plus les causes. Paradoxalement, la recherche qui est la plus proche d’aboutir, c’est la transplantation d’utérus. Des équipes en France y travaillent, une dizaine de femmes ont déjà été greffées en Suède. Une partie des femmes tentées par la gestation pour autrui pourraient y trouver leur salut.  

Propos recueillis par MANON PAULIC & JULIEN BISSON

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !