J’étais ce qu’on appelle une mauvaise élève. Un cancre. Les appréciations étaient unanimes : « Résultats chaotiques, mais fait des efforts. » Les autres, eux, étaient toujours meilleurs, souvent brillants. Avec leurs fiches Bristol impeccables. Les titres bien soulignés au stylo vert dans leurs cahiers. Leurs devoirs toujours faits. Leur trousse bien remplie quand j’oubliais la mienne un jour sur deux. 

Juin 2010. Le bac approchait. Tout cela serait bientôt derrière nous. Et alors que chacun considérait l’épreuve comme une formalité (quelle mention aurait-il ? les paris étaient lancés !), je m’endormais chaque soir en priant je ne sais quel Dieu pour l’avoir. Pas le choix. Il fallait que je l’obtienne. C’était mon seul espoir. La clef de la geôle. Car si mes résultats étaient « insuffisants », je possédais une connaissance que peu d’autres élèves avaient. Je savais quel métier je souhaitais exercer. 

Quelques semaines auparavant, nous avions consciencieusement inscrit nos vœux d’orientation sur la plateforme Admission post-bac. Il est d’ailleurs amusant de constater qu’à cette époque, la finalité de l’opération se trouvait dans l’intitulé. On souhaitait que les élèves soient admis quelque part. Cela semblait clair. J’avais pour ma part fait des demandes auprès d’IUT Métiers du livre – formation sélective – et à l’université, pour une licence de lettres modernes. Au cas où. Alors, lorsque l’un d’entre nous a dit « ça y est ! Les résultats sont tombés », nous nous sommes tous précipités afin de les découvrir. Comme attendu, chacun avait obtenu son premier vœu. Sauf moi. La mention refusé par l’établissement apparaissait au bout de chaque ligne comme un point final scellant de façon définitive les différentes vies qui auraient pu être la mienne dès l’année prochaine. J’irais donc à l’université, seule filière se trouvant dans l’obligation de m’admettre. Inconsolable, je me remis à mes révisions. J’obtins le bac sans trop de dégâts grâce à un savant calcul d’options et de formidables résultats en histoire-géographie. 

Rentrée. Les Grands Moulins de Paris qui abritaient l’université se blottissaient dans la lumière rousse de la fin de l’été. Tout au long de notre scolarité, on nous présentait la fac comme une sorte de grand bassin dans lequel les quelques étudiants qui en avaient le courage nageaient une brasse coulée maladroite. Cela avait de quoi effrayer. Mais si le niveau était suffisamment bas pour qu’on -m’accepte moi, alors pourquoi ne pas tenter de barboter à mon tour. On verrait bien. 

Je n’avais jamais été une élève « scolaire ». Dès l’école primaire, je décrochais, éprouvais des difficultés. Ne pouvant me contraindre à un apprentissage dont je ne comprenais pas les tenants et les aboutissants. Pourquoi les fractions ? pourquoi la flûte à bec ? Il m’apparaissait d’ailleurs évident que des choses bien plus importantes m’attendaient une fois la journée terminée. Alors, je renonçais aux devoirs et obligations, engrangeant par là un retard considérable sur les autres élèves. Plus tard, en adolescente prétentieuse et désinvolte, j’avais l’impression que la vie, la vraie, se trouvait ailleurs

Puis, il y eut un soir et il y eut un matin. Celui de mon premier jour à l’université. Je me souviens des personnes assises à côté de moi – elles devinrent mes plus proches complices. De la lumière qui réchauffait les murs sans crépi de la halle aux farines. Du visage du professeur. Et du cours sobrement intitulé : Analyse de textes. Dora -Bruder, Madame Bovary, Alcools. Modiano, Flaubert, -Apollinaire. Rien que ça.

Ces trois années de lettres modernes m’offrirent une chance. Mais plus encore. L’université m’autorisa à déployer une façon de penser qui m’avait semblé muselée pendant toute ma scolarité. On nous poussait à faire des liens, quand jusqu’ici n’avaient de valeur que l’exercice, la liste, le par-cœur. Nous disposions de temps pour aller au cinéma, aux expositions, lire ce que nous devions lire, mais surtout aller plus loin, approfondir. Avoir une approche sensible – je crois – de notre discipline. Avec, comme seule feuille de route, la curiosité envers la connaissance. Ensuite seulement, venaient la rigueur, la composition, la méthode. La transmission et l’approfondissement primant toute idée de compétition. Et pour la première fois, j’éprouvais cette sensation inouïe d’être à ma place. Les résultats suivirent. 

Ma mère raconte souvent que lorsque j’étais petite, il était impossible de me faire faire mes devoirs. Désemparés, mes parents avaient rencontré mon institutrice de CE2. À leur désarroi, elle avait répondu une simple phrase : « Ne faites plus rien, elle trouvera sa voie. » Il me semble aujourd’hui que la voie dont elle parlait était celle de l’université. Là où les cartes étaient redistribuées. 

J’imagine l’algorithme de la plateforme Parcoursup juger aujourd’hui, en 2018, mon maigre dossier. Le décortiquer. Lui et ses résultats décevants, insuffisants, chaotiques. Des notes, un nom, un prénom. Qu’aurait-il pu en faire, sinon le déposer tout en bas d’une liste d’attente, me barrant ainsi la route qui conduit à l’université ? Ce lieu unique où, bel et bien, je me suis rencontrée. Et qui, -délicatement, m’a conduite vers mon métier. 

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