Quelles sont les grandes dates qui permettent de mieux comprendre la situation de tension à l’entrée de l’enseignement supérieur ?

En 1968, on passe d’une vision élitiste à une vision démocratique de l’université. Notre système éducatif moderne, préconstruit sur la dualité école-université, est né à ce moment-là. C’est une date charnière, comme l’avait indiqué le grand historien et spécialiste du monde de l’éducation Antoine Prost. Cette date marque un point d’arrivée pour l’université qui produisait jusqu’alors une élite française. On prend acte d’un système universitaire sous pression du fait d’un taux de croissance important du nombre des étudiants. 

L’année 1985 est une autre date importante : le ministre Jean-Pierre -Chevènement manifeste sa volonté d’amener 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, ce qui a engendré une appétence plus forte des jeunes pour un diplôme de l’enseignement supérieur.

A-t-on mesuré les changements provoqués par cette politique ?

Observez un graphique de l’évolution du nombre de bacheliers dans une classe d’âge, le bac restant la condition d’accès à l’enseignement supérieur. En 1985 apparaissent les premiers bacheliers professionnels ; puis, il y a une stagnation jusqu’en 1995 et cela repart au tournant des années 2010. La masse des élèves qui partent à l’université augmente en conséquence et l’on constate l’effet des bacs professionnels d’une part, l’accroissement de la pression démographique de l’autre. Il s’ensuit des problèmes d’engorgement dans certaines filières. On a aujourd’hui des bacheliers généraux qui ont la tentation de s’assurer, dans un premier temps, un diplôme dans des formations courtes du supérieur, particulièrement les IUT, au détriment des bacheliers techno-logiques et professionnels qui devraient bénéficier en priorité de ces filières. Faute de place, ces derniers se reportent vers les filières générales avec un taux d’échec significatif en licence.

La puissance publique n’est-elle pas débordée par cet afflux ?

Je ne le crois pas. Au global, ce ne sont pas les universités qui ont été le plus en tension dans cette poussée vers l’enseignement supérieur. Même si une proportion croissante de jeunes souhaite entrer à l’université. En 1980, vous aviez environ 1,2 million de jeunes dans l’enseignement supérieur. En 2016, ils sont 2,6 millions. Il faut regarder précisément leur répartition par filières, par types de formations : les STS [sections de techniciens supérieurs, qui délivrent des diplômes de BTS] ont été multipliées par quatre (de 68 000 à 268 000), les IUT ont été multipliés par deux, les formations d’ingénieur par quatre et les formations en écoles de commerce par dix. En regard, l’université (hors IUT) a vu les demandes d’intégration « seulement » multipliées par deux.

Comment appréciez-vous ces transformations ?

Nous nous situons dans une élévation globale des compétences et du niveau de qualification des jeunes. Cela correspond aux attentes économiques du marché de l’emploi et à l’ambition républicaine de démocratisation de l’éducation. Une ambition équitable, pour ne pas dire égalitaire. Il s’agit bien de construire une citoyenneté partagée par tous, sans oublier la laïcité. La perspective générale, c’est que l’allongement des parcours scolaires mène à la diplomation dans le supérieur. Cela correspond à une évolution importante : nous quittons un système éducatif qui établit une nette séparation entre d’un côté le premier et le second degré, de l’autre l’enseignement supérieur. Nous entrons dans une logique du socle commun, de l’éducation obligatoire jusqu’au brevet des collèges. On glisse ensuite vers le - 3 avant le bac et + 3 après le bac (le lycée et le premier cycle de l’enseignement supérieur), puis le dispositif du master et du doctorat. Un modèle généralisé au niveau européen.

D’où vient la réforme actuelle ?

Elle s’inscrit dans une transition d’organisation du système universitaire. Le modèle initial change. Depuis les années 1970, on observe un essor quantitatif avec la multiplication des universités, notamment dans les villes moyennes, qui se combine à un essor qualitatif. Parallèlement à ce processus de démocratisation, il y a un mouvement d’autonomie des établissements universitaires. L’enjeu est de concilier le respect des fondamentaux en France avec des diplômes nationaux et une autonomie croissante des universités qui culmine avec la loi LRU de 2007 portée par Valérie Pécresse.

L’augmentation des frais d’inscription ou la sélection des meilleurs dossiers dans certaines filières comme le droit ne représentent-elles pas une forme de sélection instituée au fil du temps ?

Vous ne pourrez pas lutter contre des contraintes de capacité et on ne peut pas pousser les murs ! Derrière tout cela, il y a un vrai travail d’accompagnement des jeunes pour qu’en fonction de leur cursus au collège et au lycée, ils construisent progressivement un parcours dans l’enseignement supérieur qui soit le plus efficace et le plus heureux possible.

Cela ne revient-il pas à un désaveu des universités pour privilégier d’autres formations ?

Il y a surtout un attrait des étudiants pour les formations sélectives, peut-être parce que cela leur donne le sentiment d’un cadre plus rassurant. On part d’un système d’encadrement personnalisé au lycée pour aller vers un système beaucoup moins encadré à l’université, ce qui peut expliquer en partie les difficultés des étudiants à faire face à ce système.

Comment Parcoursup va-t-il s’inscrire dans cette évolution ?

Le sens de Parcoursup est de permettre l’articulation entre les années lycée (le - 3 dont je parlais tout à l’heure) et le + 2 des filières courtes du supérieur ou le + 3 de la licence à l’université. Le schéma européen « licence-master-doctorat » confirme la logique de ce parcours de trois ans, mais aussi le besoin d’accompagner les parcours éducatifs. C’est la supériorité de Parcoursup sur le dispositif précédent : APB. Parcoursup a un pied dans l’année de terminale et un autre dans le monde universitaire avec une bien meilleure appréhension des jeunes. On ne se contente pas de regarder leurs notes. On consulte leurs fiches « avenir », leurs dix vœux et leurs motivations, l’appréciation du professeur principal. C’est un grand pas en avant.

Mais leurs lettres de motivation sont-elles lues ? Les équipes pédagogiques en ont-elles le temps ?

Ce qui est demandé, c’est que le jeune explique pourquoi il veut bénéficier de telle formation. C’est lu par les enseignants du supérieur. C’est un vrai progrès que le regard de l’enseignant puisse apprécier divers éléments au-delà de la note. C’est pour moi l’essentiel de la transition du dispositif APB vers Parcoursup.

Il faut mesurer qu’APB a démarré de manière expérimentale en 2006 puis s’est généralisé. Ce dispositif n’avait pas été pensé pour être appliqué à l’ensemble du paysage éducatif en 2009. Parcoursup, au contraire, a été pensé pour l’ensemble du territoire national. Il y a vraiment un enjeu d’accompagnement individuel, personnalisé, tout un travail d’accompagnement qui est réalisé durant l’année de terminale. Cette médiation met l’élève au centre du jeu. C’est un progrès, de la même manière qu’APB était un progrès en matière de transparence. 

À titre d’exemple, l’ONISEP a mis au point un site d’information appelé Terminales 2017-2018. Il a été ouvert le 15 novembre. En quatre mois, nous avons eu plus d’1,5 million de visites avec 900 000 identifiants distincts. Cela signifie que les lycéens sont venus consulter le site pour s’informer sur les filières du supérieur, avec un temps de visite moyen de 6 à 7 minutes. Parcoursup remet à l’honneur la problématique de l’orientation.

Quelles sont les limites de l’outil ?

Je ne peux pas vous répondre aujourd’hui car nous ne sommes pas arrivés au terme du processus. On a besoin d’un retour d’expérience sérieux avant de se prononcer. Ce qu’il faut tout de même dire, c’est que nous avons aujourd’hui une partie des jeunes qui se retrouvent avec dix réponses négatives. Des réponses négatives pour chacun de leurs vœux. Dans ce cas, des commissions académiques du supérieur prennent contact avec les jeunes et travaillent avec eux pour identifier une option de parcours en fonction des attendus des formations. Ce travail de médiation individualisé a commencé dès le 22 mai.

Pourquoi n’entend-on alors que des avis critiques sur Parcoursup ?

On ne peut pas dire cela. Le numéro vert Parcoursup n’a quasiment pas reçu de critiques, au contraire ! Aujourd’hui, plus de 75 % des lycéens en terminale ont reçu une proposition. Nous sommes en avance par rapport aux prévisions. C’est un processus nouveau, consommateur de temps quand vous le faites sérieusement, mais très riche.

N’est-ce pas une remise en cause du principe d’ouverture de l’université à tous les bacheliers ?

On revient au débat originel : comment concilier démocratisation et sélection ? La meilleure des conciliations, c’est de responsabiliser les jeunes. Les efforts de l’enseignement secondaire et du supérieur, leur travail en commun sont un pas en avant. Cela remet au centre du jeu l’orientation, cette ambition d’arriver à ce que chaque jeune délimite lui-même son corridor de projets raisonnés. 

Propos recueillis par LAURENT GREILSAMER & VINCENT MARTIGNY

 

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