TÉHÉRAN. Massoumeh a 27 ans. Elle fait partie de la jeunesse iranienne, majoritaire dans le pays : 70 % des Iraniens ont moins de 35 ans. À l’image de sa génération, elle semble aujourd’hui désenchantée : « Mon souhait, ce serait de pouvoir me balader en T-shirt au printemps dans la célèbre avenue Vali-Asr et devant l’université de Téhéran et sentir le vent dans mes cheveux. Juste une fois ! » s’exclame-t-elle. 

Elles sont nombreuses en Iran à espérer la fin du voile obligatoire. Il y a quelques mois, plusieurs étaient montées sur des armoires électriques et avaient enlevé leur voile en public, initiant ainsi le mouvement « des filles de l’avenue d’Enghelab ». Vingt-neuf jeunes femmes ont été interpellées. Nargues Hosseini, 31 ans, était l’une d’entre elles : « On a toutes vécu des atteintes à nos droits. Pendant treize ans, je me suis battue au sein de ma famille pour ne pas porter le tchador. Je suis contente d’avoir participé à ce mouvement, je me sens en paix avec ma conscience. Et ce qui m’a donné du courage, c’est que je savais que les gens allaient me soutenir ; les Iraniens veulent du changement. » Nargues Hosseini a été condamnée à deux ans de prison dont trois mois ferme pour « corruption morale et prostitution ». Elle ne regrette pas son geste. 

Les Iraniennes continuent de poster des photos et des vidéos où elles apparaissent sans voile sur la page Facebook de My Stealthy Freedom, plateforme créée en 2014 par Masih Alinejad, journaliste iranienne exilée aux États-Unis. Mais le mouvement s’est essoufflé et laisse place aujourd’hui à la morosité. C’est la rançon de la crise économique qui touche le pays : « Nos désirs et nos souhaits se sont tous envolés », constate Ali-Reza, 23 ans. Comme presque tous les jours, il a rejoint ses amis du quartier sur la petite place derrière leur immeuble du centre de Téhéran. Cet après-midi, ils jouent au Monopoly pour échapper au désœuvrement. « Les jeunes vivent dans l’illusion qu’ils ont une belle vie. Mais regarde-nous ! Regarde à quoi on joue ! » lance-t-il. « Moi, en tant que jeune, j’aspire à la prospérité parce que c’est ça qui apporte la tranquillité », ajoute son ami Erfan, les dés en main.

« On a tellement travaillé en étant mal payés que notre seul désir, c’est de travailler moins et de gagner le plus d’argent possible », affirme Massoumeh. Morteza approuve : « Je travaillais comme responsable d’une marque australienne. Ils m’ont mis tellement la pression… Je pouvais à peine voir ma famille ! Ici, plus tu travailles moins on te donne de congés ! » s’indigne le jeune hipster de 27 ans. Résultat, il a quitté son travail pour devenir chauffeur de Snapp – le Uber iranien. Il déplore que les jeunes ne puissent pas trouver un travail dans leur domaine d’étude : « L’école ne révèle pas les talents en Iran. » Lui-même est titulaire d’une licence informatique, d’une formation en gestion d’entreprise et étudie actuellement le droit. 

Sur 82 millions d’habitants, la République islamique compte environ 4,8 millions d’étudiants dans ses universités. Cependant, l’Organisation internationale du travail (OIT) indique qu’un quart des 15-24 ans sont au chômage, tandis qu’un million de jeunes entrent chaque année sur le marché du travail. Lorsque le président réformateur Hassan Rohani est arrivé au pouvoir en 2013, l’inflation était de 40 %. Elle est tombée à 9 % en 2016, mais atteint presque 11 % cette année. Cette instabilité économique ainsi que l’insécurité du marché du travail font perdre tout espoir aux jeunes, qui cherchent pour beaucoup à partir pour tenter leur chance ailleurs. Ils seraient 51 500, selon les chiffres de l’Unesco, à étudier à l’étranger. Fereshete, 23 ans, le regrette. « Je veux rester en Iran, j’ai ma famille ici. Cependant tout est cher. Et encore je suis infirmière, j’ai un travail, j’ai de quoi vivre. Mais, parmi mes amis, certains parlent même de se suicider tellement c’est compliqué pour eux. Ces derniers temps, vingt de mes amis ont perdu leur emploi !  »

Ehsan, 23 ans, s’est marié il y a un an alors qu’il travaillait pour une société qui lui permettait de vivre décemment : « Je n’ai pas eu de chance, j’ai fait ma demande en mariage et quelque temps après le marché dans lequel j’étais s’est effondré. » Le jeune homme a donc préféré changer d’emploi : il recharge et vend des extincteurs, mais cela ne lui suffit pas. Ainsi, pour joindre les deux bouts il est également chauffeur de Snapp : « Notre souhait c’est d’avoir une vie normale, un travail, pouvoir acheter une maison, explique-t-il sans espoir. Ici, seuls ceux dont les parents ont de l’argent s’en sortent. »

En 2017, Hassan Rohani avait axé sa campagne sur la jeunesse en leur promettant une amélioration de la situation économique du pays, notamment grâce à l’accord nucléaire, et plus de liberté. Or, fin avril, Telegram, le réseau social si prisé des jeunes, a été filtré « pour des raisons de sécurité » par la justice iranienne aux mains des conservateurs. L’application était pourtant utilisée par un Iranien sur deux, soit 40 millions de personnes. Et le 8 mai, le président américain Donald Trump a annoncé la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire et le rétablissement des sanctions contre l’Iran, faisant ainsi voler en éclats l’espoir de ces jeunes, qui s’étaient rassemblés en liesse le 14 juillet 2015 sur l’avenue Vali-Asr pour célébrer ce qu’ils pensaient être une victoire et un chemin vers un avenir meilleur. « Ce que veulent les jeunes maintenant, c’est un sentiment de sécurité. Ne pas avoir à s’inquiéter de la hausse du dollar et de ses conséquences, ou de son passeport qui n’a pas de valeur, ou encore d’une possible guerre. être sûr d’avoir un travail stable. Ils aspirent à de la tranquillité », conclut Sheida. Dépourvue de solutions, la jeunesse iranienne, éduquée et cultivée, semble aujourd’hui se résigner à être la génération sacrifiée d’un pays à l’avenir incertain. 

En partenariat avec le média Les Haut-Parleurs, coproduit par TV5 Monde et FabLab Channel

 

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