Philip Roth était-il à lui seul un Complot contre l’Amérique ? Oui, assurément, si on accepte que la littérature soit ce cocktail explosif de mots qui vous saute à la figure et fait trembler tout un pays et ses élites bien-pensantes en même temps que les lignes de la page. La bêtise à front bas, les hypocrisies sociales, le politiquement correct, le rêve américain qu’il retournait comme un gant pour en révéler chaque déchirure : l’œuvre romanesque de Philip Roth peut être lue comme une entreprise politique, à condition, comme nous le dit François Busnel, de relier l’intime et le politique. 

Pas d’idées générales chez l’écrivain, rien que de petits faits, vrais ou faux, mais qui sonnent juste, pour dire la vérité des personnages dont le destin se confond souvent avec celui d’un pays tout entier. « Je frotte deux morceaux de réalité l’un contre l’autre pour que le feu en jaillisse », expliquait Philip Roth. Élucider le réel avec les armes de la fiction, ce fut son combat en trente et un rounds, si on accepte l’idée que chacun de ses livres fut une lutte contre lui-même et contre les démons de l’Amérique. « J’ai connu pas mal de défaites, concédait Roth, mais comme le boxeur Joe Louis, moi aussi j’ai fait du mieux que j’ai pu avec ce que j’avais. »

Il y avait lui, l’auteur. Et nous, les lecteurs. Des lecteurs du monde entier qui ont saisi quelque chose des États-Unis à travers son regard, on devrait dire ses regards multiples, sans parler de ses propres doubles qui aiguisaient son œil absolu. « Lire Philip Roth, écrivait André Clavel dans le premier numéro de notre trimestriel America, c’est revisiter un demi-siècle d’histoire américaine en un long travelling qui va de la tourmente maccarthyste – J’ai épousé un communiste – à la dictature du politiquement correct des années Clinton – La Tache – en passant par le traumatisme vietnamien dans Pastorale américaine. » Lorsque Donald Trump est entré à la Maison Blanche, c’est un autre roman, le fameux Complot contre l’Amérique, qui a rétrospectivement frappé les esprits. Campé sur ses peurs anciennes d’enfant juif, Roth rendait plus vrai que vrai un Charles Lindbergh triomphant de Roosevelt dans la course à la présidence, avec un discours antisémite et un slogan, « America First »…

De cette œuvre achevée, puisqu’il avait décidé en 2012 de casser sa plume, l’auteur d’Opération Shylock nous aura aussi éclairés mieux que personne sur l’art d’être un autre. Sans jugement sentencieux ni affirmation péremptoire. Comme son ami Kundera, il aurait pu dire qu’un roman, loin d’avoir réponse à tout, a d’abord question à tout. 

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