Le premier anniversaire de l’élection d’un président fournit traditionnellement l’occasion de dresser un premier bilan un tant soit peu consolidé de la popularité du locataire de l’Élysée. D’après le baromètre Ifop-Fiducial pour Le Journal du dimanche, 44 % des Français se disaient satisfaits de l’action d’Emmanuel Macron en avril. Une nette majorité de nos concitoyens (56 %) sont donc mécontents et les mouvements sociaux qui perturbent la SNCF ou les universités sont là pour nous rappeler que les griefs sont nombreux. Le « président jupitérien » ne marche donc pas sur l’eau et n’a pas conquis l’ensemble des cœurs et des esprits, tant s’en faut. Pour autant, le niveau de popularité dont il jouit un an après son élection est nettement supérieur à celui de ses deux derniers prédécesseurs à la même période de leur mandat. François Hollande n’était ainsi soutenu que par 25 % des sondés en avril 2013 et, en avril 2008, Nicolas Sarkozy faisait mieux que lui avec 36 % de « satisfaits », mais se situait en dessous de l’étiage actuel d’Emmanuel Macron. 

La comparaison avec les débuts des présidences Sarkozy et Hollande ne permet pas uniquement d’évaluer le degré de soutien relativement non négligeable dont bénéficie encore à ce stade Emmanuel Macron, il peut aussi expliquer les ressorts de cette popularité significative. Le contraste avec ses deux prédécesseurs constitue en effet un atout important. Alors que chacun dans leur style, Nicolas Sarkozy et François Hollande étaient perçus comme ayant abaissé la fonction présidentielle, l’opinion sait gré à l’actuel président de bien l’incarner et de bien représenter la France à l’étranger. À ce propos, on notera que le retour sur la scène politico-médiatique de François Hollande ne devrait pas nuire à son successeur, bien au contraire. Autre dimension tournant à l’avantage d’Emmanuel Macron : contrairement aux deux quinquennats précédents, les Français ont davantage le sentiment que la politique menée correspond bien aux engagements de campagne, ce qui, dans un contexte de forte défiance vis-à-vis de la parole politique, est loin d’être négligeable. 

Mais la rupture avec les quinquennats précédents ne se situe pas seulement sur le plan de l’image personnelle et du respect des promesses de campagne. La victoire d’Emmanuel Macron, candidat au positionnement central, est venue briser le traditionnel ordonnancement gauche-droite. Elle a perturbé en profondeur à la fois le paysage politique et les repères des Français. Historiquement, le schéma était simple et la structuration de l’opinion dans les mois suivant une présidentielle était réglée comme un mécanisme d’horlogerie. Après un état de grâce très fugace, la confrontation gauche-droite reprenait immédiatement ses droits et le nouveau président ne pouvait compter sur aucune indulgence de la part de l’opposition. Ainsi, un an après leur élection, la cote de popularité de Nicolas Sarkozy n’était que de 9 % parmi les sympathisants PS et celle de François Hollande de 3 % parmi ceux de l’UMP… Dans le même temps, le président commençait à enregistrer une érosion des soutiens dans son propre camp. En avril 2008, 76 % des sympathisants de l’UMP étaient satisfaits de Sarkozy (en un an seulement, un quart de l’électorat de droite avait donc décroché) et en avril 2013, « seuls » 64 % des sympathisants PS se disaient satisfaits de Hollande, ce dernier ayant donc perdu le soutien d’un tiers de sa base en douze mois. 

Ce double mécanisme implacable ne fonctionne pas (pour l’heure ?) dans le cas de Macron. Du fait de l’enchaînement des réformes répondant à ses engagements de campagne et de sa capacité à endosser instantanément les habits de président de la Ve République, il a préservé le soutien plein et entier des sympathisants de LREM qui se déclarent satisfaits à 93 %, soit respectivement 17 et 29 points de plus que ses prédécesseurs auprès de leur base respective. Parallèlement à cela, en vertu de son positionnement central et de sa volonté d’aller piocher des mesures « et de gauche et de droite », Macron ne subit pas, à date, la désapprobation massive et unanime des électorats des oppositions. Lors des deux derniers quinquennats, les électeurs du PS en 2008 et de l’UMP en 2013 s’étaient forgé un avis : le président menait la politique de son camp, il n’y avait rien de bon à en attendre et il convenait de s’y opposer sans état d’âme. Ce réflexe conditionné fonctionne moins bien aujourd’hui et une part non négligeable des électeurs des oppositions soutient le nouveau président qui déroute et brouille les repères. Cette posture d’attentisme bienveillant explique que 35 % des sympathisants du PS et 45 % de ceux des Républicains (qui ont bien perçu le glissement à droite du centre de gravité du macronisme depuis l’élection) se disent aujourd’hui satisfaits. 

Si, contrairement à ses prédécesseurs, Macron est parvenu à garder le soutien plein et entier de sa base tout en jouissant de l’appui d’une frange non négligeable des électorats de partis qui lui sont opposés, l’analyse de sa popularité fait ressortir un phénomène préoccupant que l’on n’observait pas lors des deux derniers quinquennats. On constate en effet aujourd’hui une très forte polarisation en termes de classes sociales. 59 % des cadres se disent satisfaits contre seulement 34 % des ouvriers, soit un écart de 25 points. Ce différentiel n’était que de 9 points à la même période pour Hollande (29 % chez les cadres contre 20 % parmi les ouvriers) et de - 1 point pour Sarkozy (29 % contre 30 %). Si Macron a réussi à brouiller et à estomper le traditionnel clivage gauche-droite en agrégeant autour de lui un vaste bloc central amalgamant d’anciens électeurs de gauche, de droite et du centre, la première année de son mandat semble marquée par le retour en force d’un autre clivage, le clivage de classes, que d’aucuns croyaient totalement obsolète. La suite du quinquennat nous dira si, à la traditionnelle opposition horizontale entre la gauche et la droite, se substitue désormais un affrontement vertical entre la France d’en haut et la France d’en bas. 

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