Il n’a pas l’allure du maire de village traditionnel. Lunettes de soleil Ray-Ban, blazer gris sur une chemise bleu anthracite, foulard assorti. Assis à la terrasse du café de la place, sirotant un Perrier, le quinquagénaire passerait pour un citadin en week-end. Voilà pourtant vingt-sept ans que Fabien Bazin a troqué Paris pour la campagne, et dix de moins qu’il occupe le poste de maire de Lormes, une commune de moins de 1 500 habitants, aux portes du Morvan. « On pense encore à tort que la ruralité, c’est une paire de sabots ! » s’exclame-t-il, en allumant sa énième cigarette de la matinée. « C’est une vision réductrice qui a détruit la confiance d’une partie du monde rural. » Chaque jour, il s’échine à lutter contre le cliché d’une « France à la Pernaut ». Sa campagne à lui, c’est « celle qui incarne la modernité et qui se bouge ». À l’heure de l’exode citadin, Lormes est à ses yeux une terre d’avenir et il le fait savoir. Depuis un mois, le nouveau slogan de la commune est inscrit sur les camionnettes municipales : « Lormes, petite ville d’avenir ». Car, paradoxalement, pour défendre la ruralité, Fabien Bazin assume un côté urbain. « L’image de la ville est rassurante : c’est le lieu où tout est à disposition. Et Lormes héberge l’intégralité des services publics. » Poste, perception, crèche, maternelle, primaire, collège, gendarmerie, hôpital, centre social… Pour les maintenir et les développer, il lui a fallu se battre. Quand l’agence régionale de santé (ARS) a menacé de fermer l’hôpital, il a dû chercher des médecins pour le maintenir ouvert, comme il l’avait fait avec les deux kinésithérapeutes et la dentiste roumaine. « Je l’ai mariée à un natif ! Au moins, je suis certain qu’elle restera ! » Fabien Bazin estime qu’« on n’attire pas un habitant avec un simple poste » : il faut lui vendre un territoire. Idem pour les commerces. Quand le boucher a annoncé qu’il prenait sa retraite l’an dernier, le maire a mobilisé la presse locale pour trouver un repreneur. Mission accomplie, puisqu’un couple âgé d’une vingtaine d’années, qui confirme avoir « été attiré par le dynamisme du village » tient aujourd’hui la boutique. Pour maintenir cette vitalité, Lormes peut compter sur ses 56 associations, que la municipalité soutient à hauteur de 70 000 euros par an, sur un budget total de 2 millions. Pour Fabien Bazin, les financer est une priorité car « l’interconnaissance est la grande force du monde rural, et probablement son meilleur atout ». Le premier défi qu’il avait choisi de relever, en 2001, était de réunir la fanfare municipale. Créée un siècle et demi plus tôt, elle était en sommeil depuis vingt ans. « Grâce à elle, on attire une centaine de personnes aux commémorations nationales, et plus seulement une poignée de conseillers municipaux. » Pour garder son village soudé, il n’hésite pas à inventer des solutions adaptées aux habitants. En 2014, en collaboration avec les élus de sa communauté de communes, il a lancé un réseau d’entraide baptisé « Faire compagnie ». « On a identifié 80 personnes âgées isolées et environ 120 volontaires pour leur venir en aide pour des tâches ponctuelles. » Fabien Bazin voit le village comme « un laboratoire à échelle humaine » dont l’objectif est « de produire des solutions sous forme de prototype ». Comment s’éduquer, se déplacer, se soigner, ou mourir ? Des problématiques qui concernent la France mais auxquelles « les terreurs de Bercy, enfermées dans leur tour d’ivoire, ne réfléchissent qu’en termes économiques ». Depuis qu’il a revêtu l’écharpe tricolore, le maire s’étonne de la « méconnaissance totale » de l’État par rapport à la question rurale, « et peut-être plus encore aujourd’hui, avec Emmanuel Macron ». Pour remettre les campagnes au centre du débat public, il avait lancé, en 2011, l’idée d’un « bouclier rural ». Restée à l’état de proposition de loi, elle s’appuyait sur trois piliers : un temps d’accès minimum au service public, la fibre optique « partout et pour tous » et, enfin, une loi sur le réinvestissement du crédit, à l’instar des États-Unis qui, pendant quarante ans, ont réorienté de l’épargne vers les ghettos noirs et les zones rurales. Si les subventions sont rarement suffisantes, Fabien Bazin a moins de raisons de se plaindre que la plupart des maires ruraux. Il a su obtenir davantage de subventions. Faire classer le territoire en « zone de montagne », les chemins en voirie, lancer ses projets aux côtés de la communauté de communes ou du Pays nivernais-Morvan… il sait bricoler pour faire augmenter son budget. « Pour s’en sortir, il faut être agile ! » conclut-il. Il sort un mouchoir, s’excuse de renifler. « Ça doit être l’accumulation de fatigue. » Car, une fois ces grandes missions accomplies, il reste encore celles du quotidien : emmener une grand-mère déjeuner, assister au match de foot du club local, aux portes ouvertes du collège, négocier le ravalement de façade du supermarché auprès du groupe Casino, préparer l’enterrement d’un adolescent, réconforter ses parents. Il lui arrive même de balayer le riz sur les marches de la mairie après un mariage, par manque de personnel. « J’ai toujours une cinquantaine de missions sur le feu. » C’est sa vision de la fonction. « Un maire, c’est l’homme à tout faire d’un territoire. Quand on se contente de faire le mur du cimetière et l’assainissement, on n’a pas fini le boulot. » Ses journées sont trop courtes, mais il ne se plaint pas. Le temps de terminer son Perrier, il aura serré quinze mains, répondu à autant d’interrogations, et convenu de trois rendez-vous. Plus que son village, il aime ses habitants. « Hollande avait dit quelque chose de très juste », se souvient l’ancien frondeur. « Dans “maire”, il y a “aimer” ». Et quand on est maire, on ne compte pas. 

Portrait par MANON PAULIC

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