Des esprits chagrins (il s’en trouve) soutiennent qu’en passant de l’appellation France d’en bas à celle de France profonde, puis de France profonde à France périphérique, la ruralité n’a connu nul changement. Que ces esprits souffrent que je les contredise. Je prendrai mes arguments dans le domaine de la culture. C’est, nous dit l’INSEE, l’un des secteurs d’activité dont les effectifs connaissent la plus forte croissance. On ne s’étonnera donc pas qu’un conseil départemental qui emploie 5 000 personnes et gère un budget de 1,2 milliard d’euros veuille enrichir son administration d’un directeur des politiques culturelles. Ce conseil départemental se fait sûrement une haute idée de cette fonction car, dans l’annonce destinée au recrutement de son titulaire, il a fait mettre des majuscules à Directeur, à Politiques et à Culturelles. Cette noble assemblée territoriale ne se fait pas non plus une idée médiocre du département qu’elle administre. Aussi écrit-elle que « les spécificités de son territoire, la dynamique de sa population sont porteuses d’enjeux forts en matière d’éducation, de citoyenneté, d’aménagement du territoire et d’attractivité économique et touristique qui irriguent le champ culturel – qu’elle soit directe ou dans le soutien des projets des acteurs locaux ». Si je puis hasarder cette métaphore digne du maire de Champignac, il ne manque pas un bouton de guêtre à la litanie des qualités que doit posséder aujourd’hui la présentation de la plus petite collectivité territoriale. Il fut un temps où le bourg le plus excentré, le chef-lieu le plus périphérique ou la métropole la plus à l’écart se devait de se présenter comme « carrefour de l’Europe », il est désormais devenu indispensable que le bourg le plus dépeuplé, le chef-lieu le plus ravagé par le chômage et la métropole la plus affectée par la violence, les cambriolages et les règlements de compte soient porteurs d’enjeux forts en matière de citoyenneté, d’attractivité, de solidarité, etc. Réjouissons-nous que les discours officiels changent de temps à autre de maquillage et que la langue change de bois, cela donne du travail au fantassin du contre-pied.

À propos de travail, en quoi va consister celui du Directeur des Politiques Culturelles avec des majuscules ? « Vous serez, lui dit l’annonce de recrutement, le garant de la transversalité de la politique culturelle et de son articulation avec les enjeux prioritaires du territoire en matière d’éducation, de développement économique et touristique et de solidarité. Vous piloterez la finalisation de la réflexion sur le projet culturel ainsi que sa déclinaison opérationnelle. Vous êtes l’interlocuteur des partenaires institutionnels et l’interface dans les relations avec les acteurs du territoire. » En français, on aurait dit : « Vous êtes chargé de concevoir l’action culturelle du département, et, après l’approbation des élus et sous leur contrôle, d’assurer sa mise en œuvre et sa cohérence avec l’ensemble des actions culturelles publiques et privées. » Vingt-cinq mots au lieu de soixante, au prix où sont les annonces, c’était autant d’économisé. Mais il est vrai que parler de garantir la transversalité, d’être à la fois l’interlocuteur et l’interface et de piloter une déclinaison opérationnelle permet mieux à ceux qui ont rédigé ce texte de s’assurer de leur propre importance. Et elle doit être grande, l’importance de gens capables d’irriguer le champ culturel… 

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