Les semaines du 1 se suivent sans se ressembler. Pour ce 200e numéro tout feu tout flamme tourné vers des lendemains enchanteurs, nous avons rengainé le poème de Léo Ferré qui faisait mouche dans notre numéro 199 consacré aux armes. Cette fois, vous pourrez fredonner ce chant des artisans d’utopie signé du québécois Raymond Lévesque et tissé d’inusables couplets : « Quand les hommes vivront d’amour / Il n’y aura plus de misère… » Sans oublier la suite qui dessille les yeux : « Les soldats seront troubadours /Mais nous, nous serons morts mon frère. »

Des voyages que nous vous proposons, vous reviendrez – nous l’espérons ! – avec l’esprit qui picote. Et avec des rêves plus grands que chacun d’entre nous. De toutes les définitions de l’utopie qui courent à travers ces deux grandes feuilles, on pourrait retenir celle de l’horizon à jamais inaccessible, qui se refuse quand on croit l’approcher, mais vers lequel il faut tendre sans cesse si on veut avancer, voir du pays, traverser toutes sortes de miroirs, fussent-ils aux alouettes pas encore plumées. Parce que vous rencontrerez Marx et More (Thomas), Kant et bien d’autres sur leur quant-à-soi de visionnaires, vous verrez que les utopies sont nées d’un passé qui a de l’avenir. Reste à imaginer comment celui-ci se marie avec le réel sans exploser en vol ou rester au stade fumeux des idées en l’air. Et à se demander, comme les soixante-huitards du Quartier latin (quand ils ne pensaient pas avec des pavés), si l’utopie est l’irréalisable ou seulement l’irréalisé.

Sans doute au printemps 2014 avons-nous poursuivi un rêve éveillé et partagé – une seule feuille pour des milliers d’envies –, en propulsant dans le ciel plombé de la presse écrite ce drôle d’oiseau plié en trois mais prêt à toutes les ouvertures. Il n’est pas si surprenant qu’après quatre ans de vol, la mouche utopie nous ait offert ses ailes. Il y a, dans tout journal (et journaliste) qui se respecte, une part d’idéal relevant du combat autant que du fantasme : rendre le monde meilleur, plus juste et plus vivable grâce à l’addition des intelligences et des sensibilités tournées vers un but commun : non pas changer la vie – un parti à la rose s’y risqua jadis –, mais changer le regard, nos regards, sur ce et ceux qui nous entourent. La première des utopies serait alors, d’un coup de stylo en guise de baguette magique, de désagréger les préjugés, de voir l’autre comme un reflet de soi-même qui nous donne autant qu’il nous prend. « Quand les hommes vivront d’amour / Il n’y aura plus de misère / Et commenceront les beaux jours. » 

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