Les armes remuent au fond des cœurs la fange des pires instincts. Elles proclament le meurtre, nourrissent la haine, déchaînent la cupidité. Elles auront écrasé les faibles, exalté les indignes, soutenu la tyrannie. On doit à leur fureur aveugle l’avortement des meilleurs projets, l’échec des mouvements les plus généreux. Sans relâche, elles détruisent l’ordre, saccagent l’espérance, mettent les prophètes à mort.

Pourtant, si Lucifer en a fait cet usage, on les a vues aux mains de l’Archange. De quelles vertus elles ont enrichi le capital moral des hommes ! Par leur fait, le courage, le dévouement, la grandeur d’âme atteignirent des sommets. Noblesse des pauvres, pardon des coupables, elles ont, du plus médiocre, tiré l’abnégation, donné l’honneur au gredin, la dignité à l’esclave. Portant les idées, traînant les réformes, frayant la voie aux religions, elles répandirent par l’univers tout ce qui l’a renouvelé, rendu meilleur ou consolé. Il n’y eut d’hellénisme, d’ordre romain, de chrétienté, de droits de l’homme, de civilisation moderne que par leur effort sanglant.

Les armes ont torturé mais aussi façonné le monde. Elles ont accompli le meilleur et le pire, enfanté l’infâme aussi bien que le plus grand, tour à tour rampé dans l’horreur ou rayonné dans la gloire. Honteuse et magnifique, leur histoire est celle des hommes. Elles sont générales, multiples, éternelles, comme la pensée et l’action. 

Le Fil de l’épée © Plon, 1932

 

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