Comment se définit un circuit court ?

Un circuit court compte au maximum un intermédiaire entre le producteur et le consommateur. C’est la définition officielle, élaborée en 2009. Certains ont été très déçus qu’elle n’impose pas de limite de distance. Mais dans des régions spécialisées – en viande, par exemple – décréter qu’un circuit court se limite à un rayon de 80 kilomètres impose de s’alimenter avec pas grand-chose.

Il existe plus de vingt modalités de circuits courts. Les AMAP*, les casiers distributeurs devant la ferme, l’achat de paniers de légumes via le comité d’entreprise… En 2010, les plus importants (en chiffre d’affaires) étaient la vente directe et le marché forain. Mais le paysage continue de changer. Les systèmes de commande via Internet, comme La Ruche qui dit oui ! ou Kelbongoo !, se sont multipliés. Les marchés de producteurs, qui rassemblent plusieurs produits et permettent de rencontrer les agriculteurs, sont en train de devenir le premier circuit court. Les groupements d’achat renaissent et les supermarchés coopératifs se développent.

Les marchés du dimanche sont très anciens, mais comment sont nés les circuits courts plus récents ?

Les premiers magasins de producteurs sont nés dans les années 1970 et 1980, avec le retour à la terre de néoruraux, dans une démarche autonomiste. 

Les formes plus récentes ont suivi la crise de la vache folle. La première AMAP, en 2001, s’inspire du Japon où, à la fin des années 1950, une forte pollution des rizières a entraîné de graves problèmes de santé. Des consommatrices se sont rapprochées d’agriculteurs en leur demandant de cultiver des produits sains, qu’elles s’engageaient à leur acheter : c’est la naissance des teikei, en 1965. Les CSA (Community Supported Agriculture, littéralement « Agriculture soutenue par le voisinage »), nés dans les années 1980 aux États-Unis, sont d’autres ancêtres des AMAP. C’est autant une préoccupation de santé personnelle qu’une proposition d’alternative au modèle agro-industriel, qui n’inspire plus confiance.

Ensuite, la grande distribution a commencé à s’en mêler, la restauration collective également… Et les nouvelles technologies ont accentué la diversification. Les consommateurs recherchent toujours la dimension humaine, voire pédagogique, mais les circuits courts sont devenus plus pratiques. 

« Théoriquement, tout le monde peut avoir accès aux circuits courts, vu leur diversité et leur diffusion sur le territoire »

Qui sont les clients des circuits courts ? On imagine des retraités et des bobos de centre-ville…

Étonnamment, le profil des consommateurs se rapproche assez de la population française, d’après une étude de 2013. Cadres et retraités sont légèrement surreprésentés mais pas tant que ça. Et les « nouveaux » clients, ceux qui achètent en circuit court depuis moins d’un an, sont plus jeunes et moins éduqués que les « anciens ».

Théoriquement, tout le monde peut avoir accès aux circuits courts, vu leur diversité et leur diffusion sur le territoire. À qualité égale et en respectant la saison, les prix y sont en moyenne moins chers que dans les grandes surfaces. Mais on compare souvent des produits de qualités différentes, ne serait-ce qu’en termes de maturité. Donc le rapport au prix est biaisé.

Enfin, les circuits courts ont un problème d’image : les consommateurs à petit budget pensent que c’est aussi élitiste que d’aller au théâtre !

Les producteurs sont-ils davantage rémunérés en circuit court ? 

Dans la grande majorité des cas, un circuit court permet au producteur de capter une part plus importante de la valeur ajoutée, puisqu’il y a moins d’intermédiaires. Il y a aussi moins de pertes : les clients sont moins sensibles à l’aspect du produit qu’à son goût, sa fraîcheur et sa maturité. On ne jette pas les produits non conformes, comme en circuit long. Par ailleurs, les agriculteurs font de la petite transformation : les légumes en ratatouille, les graines en huile… Ils gagnent en valeur ajoutée et, en fin de compte, les rémunérations horaires sont bonnes.

Il faut néanmoins se renseigner, car certains intermédiaires abusent. Les magasins de producteurs margent à 10 ou 15 % pour faire fonctionner la boutique, les Ruches à 17 %. C’est raisonnable. Mais, dans la grande distribution, c’est de l’ordre de 50 % sur les fromages ou la viande.

Côté qualité, les agriculteurs changent-ils de pratiques au contact des clients ?

Théoriquement, tout agriculteur peut vendre en circuit court. Mais pour se faire une clientèle, il faut que ses produits soient frais et un peu spécifiques : une variété ancienne de pomme, une race locale de bovin… Par ailleurs, nous avons mené une étude sur les fruits et légumes en Bretagne et dans le Limousin, où les cultures sont assez intensives. Les producteurs, même s’ils en viennent aux circuits courts par pur opportunisme économique, écologisent petit à petit leurs pratiques. Ils sentent qu’un jour les consommateurs les interrogeront sur les pesticides qu’ils utilisent. L’autre explication, c’est qu’en vendant sur les marchés ou dans les magasins de producteurs, ils échangent avec des collègues plus écolos, se rassurent et finissent par dire : « Traiter moins, pourquoi pas ? »

« Sous prétexte de normes européennes, la France fait fermer les petits abattoirs »

Quels sont les obstacles au développement des circuits courts ? Existe-t-il un lobbying hostile ?

La question des abattoirs de proximité est intéressante : ils sont indispensables pour que les éleveurs puissent tuer leurs bêtes et vendre leur propre viande. Mais, sous prétexte de normes européennes, la France fait fermer les petits abattoirs. Pourtant il existe un principe de flexibilité de la réglementation pour les petites structures. L’Allemagne et l’Autriche, par exemple, l’appliquent. En France, d’après beaucoup d’acteurs de la profession, les propriétaires de gros abattoirs font pression pour que ce dossier n’avance pas.

Concernant les agriculteurs, il faudrait plus de formation à la vente. Apprendre à organiser des tournées de livraison, par exemple. Idem pour les intermédiaires : les bouchers ne sont plus formés à acheter des bêtes en vie, les boulangers ne savent plus sélectionner leur farine. Ils doivent passer par des grossistes.

Quelle est l’implication des pouvoirs publics ?

Le pilier « Développement rural » de la PAC (politique agricole commune européenne) soutient un peu les circuits courts. Et la France est l’un des pays pionniers dans leur définition. Mais on subventionne souvent l’achat des machines neuves, par exemple, alors que beaucoup se vendent d’occasion. Ce n’est pas toujours adapté.

Le soutien vient aussi des collectivités territoriales. Près de Rennes, elles ont fait installer quatre exploitations, avec quatorze créations d’emplois à ce jour. Ailleurs, elles dynamisent les marchés et valorisent les agriculteurs qui vendent en direct. D’autres encore, dans le Haut-Rhin ou l’Ain, établissent des magasins de producteurs.

« La solution se trouve dans la production qualitative, distribuée en circuit court »

Les circuits courts sont-ils une solution à la crise agricole ?

Ce n’est pas la solution miracle mais c’est une solution. Nous vivons une crise agricole sans précédent, que les circuits longs n’arrivent pas à absorber. Produire de gros volumes de lait ou de blé ne résoudra pas le problème : la Chine ou les pays de l’Est sont plus compétitifs ! La solution se trouve dans la production qualitative, distribuée en circuit court. Ils représentaient 10 % des achats alimentaires en 2013. Plusieurs experts de la distribution prévoient un doublement de cette part d’ici 2025, car les circuits courts se diversifient, se développent dans de nouvelles filières comme le lait ou les céréales, et intéressent les agriculteurs qui s’installent. 

Le consommateur peut faire beaucoup de choses pour aller plus loin. Il est par exemple très compliqué d’accéder au foncier lorsqu’on veut produire en circuit court. Les citoyens peuvent soutenir les installations en plaçant leur épargne dans Terre de liens, qui rachète des terres agricoles et les loue à des fermiers.

On peut aussi faire pression pour que la cantine de l’école ou de l’entreprise s’approvisionne en local, aller dans un restaurant qui achète en direct… Nous mangeons trois fois par jour, demandons-nous d’où vient cette nourriture ! Nous avons tous envie de manger des choses qui sont vendues en circuit long. Mais, avec un peu de bon sens, nous pouvons rééquilibrer nos assiettes. 

* Voir glossaire.

 

Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER

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