Pourquoi Barcelone est-elle considérée comme un modèle d’urbanisme ? 

Barcelone doit sa renommée au travail d’Ildefons Cerdà, connu pour être l’un des pères de l’urbanisme moderne. En 1859, alors que la ville vient d’être débarrassée de ses murailles, l’ingénieur imagine un plan d’extension pour accompagner son essor économique. Il cherche à libérer Barcelone du corset qui l’empêche de respirer. Guidé par de formidables intuitions, Cerdà anticipe l’arrivée des voitures en prévoyant des chaussées larges de dix mètres, et huit cents carrefours, très ­typiques, pour faciliter leurs manœuvres. Il fait preuve de modernisme en donnant la priorité aux espaces verts, comme Haussmann le fait pour Paris. En ­s’appuyant sur un quadrillage assez basique, il parvient à protéger la cité ancienne tout en fournissant à la ­société barcelonaise un nouveau squelette solide, capable d’évoluer à son rythme. Car la ville d’aujourd’hui est fidèle à celle du plan initial et en même temps très différente. Barcelone s’est énormément développée, bien au-delà de ce que Cerdà avait imaginé.

Comment le plan Cerdà a-t-il évolué depuis son instauration ? 

Dès la fin du xixe siècle, la ville commence une nouvelle mue en intégrant la dizaine de communes périphériques qui l’entoure. Elle atteint progressivement sa superficie actuelle – une centaine de kilomètres carrés pour 1 600 000 habitants – et différents secteurs émergent à l’intérieur même du quadrillage initial. On distingue alors le quartier industriel, le quartier bourgeois, ou encore le quartier populaire. Dans les années 1950-1960, la dictature entraîne quelques erreurs d’urbanisme, mais ne stoppe par pour autant le développement de Barcelone, portée par son industrie. Après la mort de Franco, c’est une véritable explosion : l’urbanisation reprend de plus belle avec les élections municipales de 1979. Une évolution qui aboutit en 1987, avec la nomination de Barcelone comme ville olympique pour les Jeux de 1992.

Quel fut l’impact des Jeux olympiques de 1992 sur la ville ?

Les Jeux olympiques représentent un ­moment clé pour Barcelone. La préparation de l’événement s’organise en trois étapes. Elle commence dès les années 1980 avec des petits projets mis en place pour améliorer la qualité de l’espace et impliquer les locaux. C’est ce que l’on appelle « l’acupuncture urbaine ». Dix ans plus tard, on construit les quarante kilomètres de ­rocade et les grands équipements culturels et sportifs à l’intérieur même de la ville. Rien n’est organisé en dehors de Barcelone, pas même les épreuves de voiles. C’est un cas unique dont peut se vanter la ville qui a bénéficié de maires exceptionnels, comme Narcís Serra et Pasqual Maragall. La troisième étape, l’après Jeux olympiques, correspond à une grande ouverture à l’échelle métropolitaine. 

La progression du tourisme aujourd’hui menace-t-elle l’intégrité de Barcelone ?

Le tourisme est une bête destructrice qui s’approprie la ville, y détruit ses ambiances. À cause de l’afflux massif de visiteurs, Barcelone souffre d’une sorte de schizophrénie qui se traduit directement dans l’espace : les quartiers noyés par les touristes contre les ambiances locales menacées. Quand j’étais étudiant, j’aimais passer mon temps sur la Rambla. Aujourd’hui, cela n’a aucun intérêt, elle a complètement perdu son charme. On n’y vend que des bêtises, comme ces figurines de taureaux qui n’ont rien à voir avec la culture locale. Le tourisme représente une vraie mise en danger du patrimoine immatériel et de l’identité catalane, malgré le fait qu’il engendre une grosse part du PIB. Je fuis ces lieux trop fréquentés, comme la plupart des locaux. Je préfère me promener sur l’autre rambla, celle du quartier industriel de Poblenou. La rue, avec sa largeur de vingt mètres et ses arbres rapprochés, est un peu différente des autres ; son authenticité a été préservée. 

Préserver son identité, est-ce le prochain grand défi de Barcelone ? 

C’est un défi que toutes les villes ont à relever aujourd’hui. La question qui se pose plus particulièrement pour Barcelone est celle de la mobilité. Malheureusement, je crois que les acteurs locaux ne l’ont pas compris. Il est pourtant essentiel d’adapter l’espace urbain à des modes de mobilité du xxie siècle, de développer des transports en commun solides et ce que l’on appelle des « modes doux », pour les piétons et les cyclistes, ou encore d’établir une relation entre le noyau central et la structure métropolitaine. Certaines initiatives existent déjà, mais il faut être plus ambitieux. Barcelone peut encore profiter du potentiel d’adaptabilité du plan Cerdà, elle peut encore évoluer.  

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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