Le rattrapage salarial femmes-hommes est un objectif qui vient d’être réaffirmé par le gouvernement : il n’est plus possible d’admettre l’écart existant. En effet, les inégalités salariales, emblématiques des inégalités professionnelles, demeurent élevées et se réduisent peu.

Les chiffres sont connus : l’écart est de 24 % en moyenne. Il est dû au temps de travail (les femmes travaillent davantage à temps partiel que les hommes), à la ségrégation professionnelle (les femmes ne travaillent pas dans les mêmes secteurs et n’exercent pas les mêmes métiers que les hommes) et à la discrimination dite « pure », le fameux écart « inexpliqué » par les différences précédentes, en d’autres termes le fait qu’à travail égal, le salaire n’est pas égal. L’écart de salaire à temps plein est de l’ordre de 17 à 18 %. La ségrégation professionnelle et la discrimination « pure » expliquent chacune environ la moitié de cet écart.

Faut-il pour autant se focaliser sur ce seul écart, à poste égal ? Il peut certes apparaître comme le plus injuste, le plus discriminatoire, ou le plus facile à contrecarrer. Mais c’est négliger le fait que les différentes causes des inégalités salariales sont imbriquées. 

« À travail égal, salaire égal » est un principe constitutionnel, réaffirmé par de multiples lois. Mais le travail n’est pas égal. Une femme et un homme entrés à un même niveau de qualification dans une entreprise n’auront pas le même déroulement de carrière. Ces écarts se manifestent très vite. Une femme sera souvent considérée comme moins disponible pour assumer une responsabilité professionnelle, soit parce qu’elle a des enfants, soit… parce qu’elle est susceptible d’en avoir. Cette « suspicion d’enfant » est manifeste : même les femmes qui n’ont pas d’enfants ont des salaires moindres. Or un écart de progression de carrière, et donc de rémunération, est cumulatif.

Le travail n’est pas égal non plus parce qu’il s’exerce dans des métiers et des secteurs d’activité différents, qui ne sont pas valorisés de façon identique. Les femmes travaillent majoritairement dans les secteurs tertiaires, les hommes dans l’industrie et le bâtiment. Elles ont plus souvent que les hommes des emplois non qualifiés (26,4 % d’entre elles sont employées ou ouvrières non qualifiées, contre 14,9 % des hommes). Inversement, elles sont moins souvent cadres que les hommes (14,9 %, contre 20,4 %). On bute sur un paradoxe : en moyenne, les filles réussissent mieux que les garçons à l’école et à l’université, mais elles exercent des professions moins bien rémunérées.

Les liens entre diplôme, qualification et reconnaissance de la qualification sont source d’inégalités. Pour les femmes non qualifiées, par exemple dans les métiers des services à la personne, s’occuper d’enfants en bas âge ou de personnes âgées est considéré comme une compétence innée (les femmes font dans le salariat ce qu’elles font à la maison). Alors que l’utilité sociale de ces métiers est évidente, leur valorisation ne l’est pas. 

Cette dévalorisation se manifeste tout au long de l’échelle des qualifications : une femme responsable d’une équipe dans le secteur social d’une collectivité locale aura en général un salaire moindre que son collègue ingénieur qui exerce une responsabilité similaire pour les infrastructures. On peut accumuler les exemples : le faible nombre de femmes dans les domaines de l’informatique ou de la finance, fortement rémunérés, agit sur la moyenne des écarts de salaires. 

Les jeunes générations sont formellement plus égalitaires : la part des jeunes femmes qui occupent, trois ans après leur entrée sur le marché du travail, un emploi de cadre est maintenant presque équivalente à celle des jeunes hommes. Mais cette hausse n’est pas à la mesure de leur investissement éducatif. À caractéristiques et diplômes identiques aux hommes, elles ont encore 30 % de chances en moins de devenir cadres, que le poste soit associé ou non à des responsabilités hiérarchiques.

La non-mixité des métiers, résultat d’une orientation scolaire sexuée, est ainsi un fondement important des écarts de salaires. Dévalorisation des emplois à prédominance féminine et moindre rendement des diplômes à tous les niveaux se conjuguent.

Le travail n’est pas égal, enfin, à cause du temps partiel. 80,1 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. 30,6 % des femmes salariées sont à temps partiel (contre 7,7 % des hommes). Cela tient à la fois au fait que les femmes assument l’essentiel des tâches parentales et domestiques et qu’elles travaillent majoritairement dans les secteurs tertiaires où le temps partiel est le plus développé. La part du temps partiel a plus que doublé depuis quarante ans dans l’emploi total (il représente désormais près d’un cinquième de l’emploi), porté par l’essor des services, mais aussi par des politiques publiques qui l’ont, un temps, favorisé. 

Pour comprendre (et agir sur) la persistance des inégalités salariales, il faut prendre en compte les mécanismes sociaux qui les sous-tendent. La volonté d’indépendance financière a conduit les femmes, à partir des années 1970, à s’insérer dans les études et dans l’emploi salarié. Ce fut pour l’essentiel une insertion à plein temps. De force d’appoint, les femmes sont devenues partie prenante de la population active. Les écarts de salaires se sont fortement réduits durant cette période. Depuis les années 1990, on assiste à une double tendance : de plus en plus de femmes sortent de l’université et accèdent à des emplois hautement qualifiés. Elles ont des emplois stables, mais leurs parcours de carrière diffèrent de ceux des hommes. En même temps, au bas de l’échelle, le sous-emploi et la précarité se développent : c’est le fruit en particulier du temps partiel des salariées peu qualifiées dans le tertiaire (commerce, hôtellerie-restauration, nettoyage, services à la personne…). Les bas salaires y sont fréquents. Les smicards sont en majorité des smicardes : 55,2 %, alors que les femmes représentent 44 % de l’emploi salarié du secteur privé. Temps partiel et faible salaire horaire sont porteurs de pauvreté. Au total, les écarts de salaires ont cessé de se réduire significativement, en tendance, depuis le milieu des années 1990.

Les inégalités professionnelles se sont recomposées et de nouvelles formes d’inégalités entre les femmes et les hommes sont apparues. L’insertion croissante des femmes dans l’emploi salarié s’est faite alors que les caractéristiques du travail ont changé, que les structures d’accueil de la petite enfance demeurent insuffisantes (en quantité et en qualité) et que la répartition des tâches domestiques et parentales dans la sphère privée a fait peu de progrès. Les femmes ont investi la sphère du travail, mais les hommes n’ont pas investi la sphère domestique dans la même proportion : l’inertie est spectaculaire. La division sexuée des temps sociaux est une réalité fondamentale de nos sociétés. 

La résistance des écarts de salaires à s’atténuer résulte ainsi de nombreux mécanismes, tous imbriqués. Pour combattre les inégalités salariales, il ne faut pas les réduire à la seule composante de la discrimination à poste égal. Ce serait laisser croire qu’elle est la plus injuste, comme si le reste – les différences d’emplois – était justifié. 

Les écarts de salaires en France se situent un peu en dessous de la moyenne européenne. Des pays comme l’Allemagne, l’Autriche et le Royaume-Uni ont des écarts plus amples, dus à des taux de temps partiel plus élevés et, en Allemagne, au développement des « petits boulots » faiblement rémunérés et essentiellement exercés par des femmes. Au Royaume-Uni, la part des femmes parmi les bas salaires est forte. À l’inverse, en Europe du Sud, les écarts de salaires moyens sont plus faibles qu’en France, mais la présence des femmes sur le marché du travail l’est aussi. En Suède, l’écart est plus faible. Les disparités par pays s’expliquent par le nombre d’heures de travail, les caractéristiques des emplois que les femmes occupent, le partage des responsabilités familiales – qui facilite ou complique l’engagement des femmes dans l’emploi. 

En France, les lois sur l’égalité salariale ont concerné l’écart salarial global. Ces lois ont connu un long cheminement depuis 1972. La loi de 2006 a ouvert la voie aux sanctions financières, concrétisées en 2009 puis en 2012. Les entreprises sont désormais contraintes de réaliser un « rapport de situation comparée » qui rend compte annuellement de l’état des inégalités. Elles doivent entamer une négociation sur l’égalité professionnelle et salariale et, faute d’accord, elles sont tenues de faire un plan d’action unilatéral. Celles qui ne sont pas en conformité avec la loi sont mises en demeure de s’y conformer, sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale.

Depuis 2013, le nombre d’accords signés s’est accru, tout comme les mises en demeure (3 000 entreprises entre 2013 et 2017) et les sanctions (157). Certes, à peine plus de 60 % des entreprises ont un accord d’égalité et le contenu de celui-ci est parfois très général. Mais l’obligation de négocier est une avancée dans la prise en charge collective par les partenaires sociaux.

Les évolutions réglementaires récentes atténuent cependant certaines obligations : la loi sur le dialogue social de 2015 a dilué le « rapport de situation comparée » dans la « base de données unique » de l’entreprise, au nom de la simplification. En outre, la négociation sur l’égalité salariale et professionnelle fait désormais partie de celle sur la qualité de vie au travail. Les ordonnances réformant le Code du travail laissent le choix des indicateurs retenus et modifient la périodicité des négociations.

Poursuivra-t-on ce repli vers la seule prise en compte de l’écart salarial de « discrimination pure », confortant certaines entreprises qui considèrent que les autres inégalités salariales sont acceptables ? Faut-il vraiment restreindre les ambitions devant la difficulté à les mettre en œuvre et à progresser ? 

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