À travail égal, pas de salaire égal. C’est le constat désormais solidement étayé par Les Glorieuses, collectif qui s’était fait connaître en 2016 en rendant public ce chiffre de nature à frapper les esprits : s’il y avait une égalité salariale en France, les femmes pourraient s’arrêter de travailler à partir du 3 novembre à 11 h 44, toutes les heures travaillées au-delà de ce seuil l’étant « bénévolement ». L’association féministe est allée plus loin que ce coup médiatique, proposant une étude approfondie des causes de cette marche salariale, semble-t-il infranchissable, qui, aussi improbable que cela paraisse, est même en train de s’accroître à nouveau depuis quelques années. Les résultats de cette étude fascinent tant on y retrouve, à même les chiffres, la prégnance des sempiternels stéréotypes de genre : complexe de la bonne élève qui, quoiqu’aussi compétente, renonce à s’imposer et à monter dans la hiérarchie ; confinement des sexes dans des emplois spécifiques ; ou encore sanctions financières appliquées par l’employeur par anticipation des interruptions supposées régulières dans la carrière des femmes.

Les écarts de salaires significatifs entre les hommes et les femmes, qu’on observe autant chez les cadres supérieures que chez les moins diplômées, sont en grande partie dus bien sûr à la place encore prépondérante qu’elles occupent dans la sphère privée, autant au niveau des tâches domestiques qu’éducatives. Beaucoup de femmes intègrent d’ailleurs l’idée que leur salaire n’est qu’un appoint à celui du pater familias. Suffirait-il pour autant d’instaurer le fameux « congé paternité » pour dénouer peu à peu la situation, comme certains progressistes veulent aujourd’hui le croire ? Hélas, la question de la domination masculine plonge plus profond dans les psychés. Elle est tellement ancrée et complexe, qu’une telle mesure ne suffirait pas à renverser le long servage de la femme. Et cela, les chiffres eux-mêmes le montrent. Même dans les tâches prétendument « féminines » comme celles du soin – le métier d’infirmière, par exemple –, les écarts salariaux avec les hommes techniciens médicaux restent importants – comme si la compétence, la solidité, la fiabilité restaient l’apanage de la masculinité.

Mais d’une certaine façon, il y a plus pernicieux encore. Ainsi apprend-on aussi que les hommes négocient avec plus d’âpreté leur salaire que les femmes. L’image d’une femme marchandant crûment reste encore socialement problématique. Où l’on voit la puissance des stéréotypes enfermant l’élément féminin dans des situations non conflictuelles. Une femme est forcément douce et bienveillante, dès l’enfance on lui apprend du reste tacitement à ne pas « castrer » les hommes, à laisser la masculinité régner, du moins en apparence. Sans quoi, c’est une furie, une mégère, une moitié de femme en somme, et d’ailleurs elle s’expose dans ce cas à subir des violences que l’imaginaire collectif justifiera plus ou moins. 

On n’humilie pas un homme, au bureau ni dans l’alcôve, tout le monde sait cela. Un homme écrasé est capable de tout, il peut même aller jusqu’à tuer. L’on a ainsi vu, dans certains faits divers récents, que la dimension « écrasante » de la personnalité d’une épouse avait pu être invoquée publiquement pour justifier son meurtre. Notons au passage que si le caractère dominateur d’un homme pouvait être invoqué dans les mêmes circonstances, nul doute que nos villes seraient jonchées de cadavres. C’est donc peu de dire, comme l’énonce la chanson inspirée d’Aragon, que si un jour ces inégalités devaient cesser, il nous faudrait tous, de fond en comble, « réapprendre à vivre ». 

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