C’est une tache. Une tache sur ce début de XXIe siècle à peine majeur. Cette tache, ce ne sont pas les hommes, les femmes, les enfants – en bas âge, parfois – que nous envoient les guerres, les violences et les dictatures en tous genres. Cette tache, c’est notre incapacité à traiter humainement des êtres humains qui ont surmonté l’insurmontable, la maltraitance des bourreaux ordinaires, des trafiquants de misère, le cynisme intéressé des passeurs qu’on appellerait bien « trépasseurs » si le mot existait. Face à l’afflux de réfugiés, nos États opposent une défense qu’ils croient légitime puisque, selon le vieil adage érigé en slogan, « on ne peut accueillir toute la misère du monde ». Pour autant, la tache s’étend sur notre pays, jadis patrie des droits de l’homme. Cette tache, c’est un déni d’hospitalité, un mépris de l’autre qui arrive certes illégalement et sans papiers, mais plus mort que vif.

Bien sûr, il serait plus simple que ces gens ne gagnent pas notre territoire. Plus confortable de les contenir loin de nos yeux, quitte à payer et à feindre d’ignorer le sort qui leur est réservé au Soudan ou en Libye. Là, les mots existent pour le dire : exploitation proche de l’esclavage, viol, racket. Mais la réalité, quand ces malheureux ne meurent pas, quand avec un peu de chance et beaucoup de courage ils sauvent leur peau, c’est qu’ils finissent par entrer chez nous, en France et dans nombre de pays européens. Et une fois là, on ne peut faire comme s’ils ne l’étaient pas. Comme s’ils n’existaient pas. S’ils sont patients, s’ils remplissent les bons critères, certains obtiendront le statut de réfugiés. Mais tous les autres se retrouvent prisonniers d’une situation inextricable. Ils ne peuvent ni rester sur le territoire ni en sortir. Commence un parcours kafkaïen, incompréhensible et désespérant. Même l’Angleterre, dont la France assure de fait la police aux frontières, reste un horizon inaccessible, bien qu’à portée de regard pour les piégés de Calais.

Face à cette impasse, tout le monde se met hors-la-loi ou quasiment. L’État pour appliquer a minima la convention de Genève. La police pour contrôler et réprimer. Les simples citoyens bénévoles et les associations pour venir au secours des réfugiés livrés à eux-mêmes, la compassion en guise de sauf-conduit. Les dérives ne tardent pas. Images des tentes lacérées. Affrontements violents de migrants poussés à bout, Afghans contre Érythréens, comme la semaine dernière dans cette jungle qui se reconstitue – on l’avait soi-disant démantelée fin 2016. La jungle, avec la loi de la jungle. Calais toujours, et ses quatre jeunes Érythréens blessés par balle. Ouistreham (Calvados) désormais, où la population se divise entre pro- et anti-migrants – ces derniers mobilisés par l’extrême-droite – devant l’afflux de jeunes Soudanais. Partout, la même question sans réponse : face à ce drame humain, comment agir avec lucidité et efficacité quand l’hypocrisie règne depuis des décennies, du sommet de l’État aux administrations, au sein des partis et des médias ? 

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