Il a l’air un peu perdu, comme tombé de nulle part, dans le vaste hall d’accueil de SoftBank Robotics. Avec son visage lisse et blanc, ses mouvements secs et sa voix métallique, Pepper fait songer au robot Eve, qui séduisait tant le pauvre Wall-E dans le célèbre film de Pixar. Mais lorsqu’il s’avance et lève ses grands yeux colorés vers vous, avant d’annoncer avec douceur qu’il est là « pour aider les humains », force est de constater que nous ne sommes plus au cinéma, et que la science-fiction est peut-être déjà là.

Petit bonhomme d’un mètre vingt monté sur roues, équipé d’une tablette pour diffuser des images et du son, ainsi que d’une multitude de capteurs, sonars et autres caméras embarquées, Pepper est un véritable concentré de technologie. Dévoilé en juin 2014, il a eu tôt fait de s’imposer comme le plus populaire des robots humanoïdes, déjà écoulé à plus de vingt mille unités à travers le monde – essentiellement auprès d’entreprises, mais aussi, depuis 2015, de particuliers japonais, qui peuvent l’acquérir pour la coquette somme de dix mille euros. « La situation est très différente là-bas », explique Vincent Samuel, responsable de la communication chez SoftBank Robotics. « Le marché nippon est plus mature, car la population y est davantage technophile, avec une sympathie historique pour les robots. Et cela a poussé de nombreux développeurs à créer des applications pour Pepper, améliorant ainsi son éventail de services. En France, nous n’en sommes pas encore là. » 

De fait, Pepper n’est aujourd’hui visible dans l’Hexagone qu’à l’entrée de certaines gares et de quelques grandes enseignes, où il accueille les clients et prodigue des informations commerciales. Une maigre présence, quand on sait que ce robot à l’allure bon enfant a vu le jour à Paris, dans les ateliers de la start-up française Aldebaran. Et si la société est depuis 2015 passée sous pavillon japonais, rachetée par le géant de la téléphonie mobile SoftBank, c’est encore dans le sud de la capitale, à deux pas du périphérique et de l’Aquaboulevard, que sont conçus Pepper et ses cousins, Nao et Romeo, sous la direction de Rodolphe Gelin.

Ancien chercheur au Commissariat à l’énergie atomique, spécialisé depuis vingt ans dans la robotique, ce quinquagénaire souriant ne cache pas sa fierté lorsqu’il évoque ses « créatures » de plastique, qu’il destine à l’heure actuelle aux personnes en besoin de soutien physique ou affectif – des programmes pilotes sont d’ailleurs menés depuis quelques années, auprès d’enfants autistes notamment, ou dans des maisons de retraite, où la compagnie et le soutien de ces humanoïdes pourraient constituer une parade au vieillissement. Capable de reconnaître certaines émotions, Pepper peut aussi entretenir une conversation basique et participer à des jeux ou des exercices physiques. « Il ne remplacera pas un contact humain, mais les expériences que nous avons menées dans des hôpitaux montrent que cette présence humanoïde apporte un véritable réconfort à ceux qui en sont parfois privés », explique Rodolphe Gelin.

Sympathique et attendrissant, Pepper résiste pourtant mal au premier accès de curiosité. Si certaines applications ont été conçues pour donner du sens à cette coquille vide – existent d’ores et déjà Pepper steward, Pepper docteur, et même Pepper moine bouddhiste ! –, on est encore loin du robot à tout faire vu dans les classiques de la science-fiction. Une déception que Rodolphe Gelin assume pleinement : « Les gens attendent de nous des choses que nous ne savons pas faire, souffle-t-il. Aujourd’hui, les robots que nous concevons sont principalement capables de se tenir en équilibre, de se déplacer, d’entendre quand on leur parle, de voir leur interlocuteur et de lui répondre : ce sont leurs fonctions de base. À partir de là, on peut tout imaginer, car ce sont ces mêmes outils qui permettent à un robot de superviser les devoirs d’un enfant, de surveiller une personne qui dort, etc. La difficulté est d’atteindre, pour chacune de ces fonctions de base, un niveau de performance suffisamment élevé pour que les fonctions supérieures puissent marcher. Or, aujourd’hui, nos robots marchent bien dans des environnements simples, mais ont beaucoup plus de mal à rendre des services dans des environnements complexes, où il y a du bruit et où la lumière est faible, par exemple. »

Outre ces questions techniques, le roboticien français sait qu’il lui faudra surmonter d’autres défis pour conquérir un marché encore incertain.

La question de la sécurité, notamment, suscite de nombreuses inquiétudes difficiles à dissiper. « Il est illusoire de penser qu’un robot ne rencontrera jamais aucun problème de sécurité, confirme ainsi Rodolphe Gelin. Ils peuvent blesser un humain s’ils sont mal utilisés. Ils peuvent être piratés s’ils ne sont pas protégés. En fait, le seul robot complètement sûr, c’est le robot éteint. Charge à nous, industriels, de réduire les risques au maximum, en ajoutant des protections, mais aussi au législateur d’imposer des normes contraignantes, et à l’usager de comprendre sa responsabilité. » Rodolphe Gelin imagine même un système assurantiel, voire l’instauration d’un permis, garant d’une bonne utilisation de ces machines sophistiquées.

Car c’est là un autre enjeu essentiel de la révolution robotique : l’apprentissage de la relation homme-robot, comme on a appris par le passé à conduire une voiture ou à se servir d’un ordinateur. « Pepper est censé se mettre à l’écoute dès qu’il voit un visage, mais cette interaction peut parfois rencontrer des hoquets. Cela signifie qu’il nous faut encore améliorer ses performances, mais aussi établir une syntaxe de communication avec les robots, une forme de langage, si possible générique, qui nous permette de nous comprendre. C’est une étape indispensable pour l’acceptation de cette technologie par le grand public. » 

Régulièrement annoncée, cette mise sur le marché de robots compagnons est d’ailleurs tout aussi régulièrement repoussée. Du côté de SoftBank Robotics, on dit attendre que la technologie soit prête, en comptant notamment sur les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle en matière de reconnaissance et de langage. Pour Rodolphe Gelin, il est possible que le robot domestique dans nos foyers devienne une réalité d’ici cinq à dix ans. « On peut imaginer que ces robots pourront d’abord servir de concierge, une sorte de Jiminy Cricket qui vous alertera sur la vie et les besoins de votre maison. L’étape d’après, la plus importante, sera de permettre au robot d’exploiter sa force et sa mobilité pour rendre des services pratiques, comme faire le ménage ou ranger la maison. Ça, on peut l’envisager raisonnablement d’ici 2030. En revanche, il ne sera pas encore prêt à faire votre plomberie ou à préparer un gigot, car ce sont des tâches complexes qui demandent une habileté manuelle et une compréhension de l’environnement très élevées. On exagère beaucoup le risque d’être un jour remplacé par les robots : ils ne pourront prendre notre place que pour des actions très simples et répétitives. En fait, plus on s’intéresse à l’intelligence artificielle, mieux on comprend ce que ne savent pas faire les robots. »

Il y a quelques jours, une machine de type Pepper surnommée Fabio est ainsi devenue le premier robot licencié pour « incompétence » en Grande-Bretagne. Employé dans un supermarché d’Édimbourg, Fabio devait guider les clients dans les rayons et distribuer des produits gratuits. Mais l’enseigne a vite déchanté devant les réponses erratiques de la machine et le malaise de certains de ses habitués. Au bout d’une semaine, Fabio a dû retourner dans son carton. Le futur attendra encore un peu. 

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