Qu’est-ce qu’une fake news ?

L’expression apparaît en 2016 pendant la campagne de Trump, et lors du Brexit. Mais les « infos bidon » existent depuis toujours. Dès le VIe siècle avec les Anekdota de Procope de Césarée, conseiller de Justinien, on recense un premier type de fake news à usage politique. Puis au XVIe siècle, et encore au XVIIIe avec par exemple le libelle Le Gazetier cuirassé : le pouvoir devait payer cher les auteurs de ces ouvrages pour qu’ils se taisent, car leur influence virale était importante, même sur papier ou par simple bouche-à-oreille, via les chansons que les Parisiens apprenaient par cœur. La nouveauté, aujourd’hui, ce sont les réseaux sociaux.

Mais la définition d’une fake news est malaisée car le terme sert tout autant à désigner les fausses infos diffusées par des personnes lambda, que celles issues d’une propagande d’État ou des médias traditionnels. Les réseaux sociaux ne sont pas les seuls fabricants de fake news ! Tous ces acteurs contribuent à ce qu’on appelle l’ère de la post-vérité, où les faits ne semblent plus l’essentiel.

Peut-on comparer une information parodique de type Gorafi et ce qu’on lit sur le site d’extrême droite Breitbart News ?

Oui, c’est comparable. Qu’on ait affaire à des blagues comme sur le site du Gorafi, ou bien à de la manipulation, de la propagande et de la désinformation, on est dans le registre des fake news.

Comment se diffusent-elles dans l’espace public ?

Leur diffusion, bien sûr, est amplifiée par les réseaux sociaux, mais il y a une autre caractéristique : l’émotion l’emporte sur les faits. Une fake news fonctionne par la rencontre entre cette émotion et les réseaux qui nous enferment à l’intérieur de bulles cognitives autoalimentées par le jeu des algorithmes. Chacun reste dans son couloir de nage, au sein de sa communauté numérique. Il va ainsi écouter ce qu’il a envie d’entendre sans être exposé à d’autres influences. Le dernier baromètre de la confiance dans les médias publié par La Croix montre que les gens s’informent désormais beaucoup sur les réseaux sociaux. Mais ils sont perdus et ne savent plus à qui accorder leur confiance. D’où l’urgence de renforcer l’esprit critique des citoyens. C’est un vrai sujet pour notre profession.

En quoi ?

Les rédactions sont aussi des boîtes noires ! Pour retrouver de la crédibilité, elles devraient montrer comment elles choisissent une info, ouvrir davantage leurs conférences de rédaction, expliquer la fabrique de l’info. Avant l’émission Top Chef, nul ne s’intéressait à ce qui se passe dans les cuisines ! On aurait intérêt à montrer l’arrière-cuisine des médias. Le off et la connivence nous ont aussi fait beaucoup de mal : le public a eu l’impression qu’on appartenait tous au même monde. 

Quels buts poursuivent les fabricants de fake news ?

J’ai assisté aux États-Unis à une conférence donnée par deux fabricants non repentis de fake news. L’un était motivé par l’argent : il voulait rembourser son prêt immobilier. L’autre soutenait Trump. Ils ont balancé des fausses infos très violentes contre Hillary Clinton. « Au début, c’était pour rigoler entre potes, a expliqué l’un d’eux. Puis la pub est arrivée. » Ils ont inventé des fake news sur la supposée arrestation de l’artiste de rue Banksy ou sur l’Obamacare, prétendant que cette réforme de la couverture sociale aurait servi à surveiller les Noirs. Cela leur a valu des millions de visites et une manne publicitaire. « J’ai parlé au nom des gens qui en voulaient à l’establishment et aux médias, a précisé l’un d’eux. C’était bidon mais les gens aiment quand la vie est mise en scène de façon satirique : il y a toujours eu des tabloïds ici. Nous avons produit des fake news de divertissement. »

Comment prend une fake news ? 

Leurs auteurs disposent des moyens technologiques qu’on a tous dans notre poche. Si on a un message très fort et une communauté constituée, si on sait se servir des outils de viralité et d’optimisation des moteurs de recherche pour profiter des opportunités d’Internet, on peut réussir ! Un des deux intervenants a créé un compte Twitter en se faisant passer pour un prétendu congressman républicain, et ça a pris… Quant aux États à travers le monde, ils possèdent des officines qui se servent de comptes Twitter, Facebook et YouTube au profil mensonger qu’ils alimentent en fausses infos selon leurs intérêts. Pour pousser leurs contenus trafiqués auprès d’un large public, ils effectuent des achats masqués de publicité sur ces plateformes. Ils mettent alors en œuvre ce qu’on peut appeler une guerre de l’info.

Comment lutter ?

Jusqu’ici je pensais que l’éducation aux médias était la meilleure parade pour renforcer l’esprit critique des citoyens. Éduquer aux médias, car les gens ont pris nos outils journalistiques et s’en servent sans nos codes, sans nos règles, sans éthique, sans savoir ce qu’est la diffamation ou le copier-coller. 

Et vous n’y croyez plus ?

Le dernier ouvrage de Bruno Latour, Où atterrir ? (La Découverte), m’a ébranlé. Je le cite : « La réaction des médias prouve que la situation n’est pas meilleure chez ceux qui se vantent d’être restés des esprits rationnels, qui s’indignent de l’indifférence aux faits du roi Ubu […]. Ceux-là continuent de croire que les faits tiennent tout seuls, sans monde partagé, sans institutions, sans vie publique, et qu’il suffirait de ramener tout ce bon peuple dans une bonne salle de classe à l’ancienne avec tableau noir et devoir sur table pour que triomphe enfin la raison. Eux aussi sont pris dans les rets de la désinformation. » Bruno Latour est persuadé que la pédagogie ne peut suffire si on ne partage pas la même culture. 

Dans ce contexte, que peut faire la loi ?

Macron m’a surpris lors de ses vœux, quand il a dit que toutes les paroles ne se valaient pas. Certes… Mais je trouve un peu archaïque de vouloir ressusciter la verticalité du monde d’avant dans un univers d’horizontalité et de réseaux. Je ne crois pas à cette vision, qui induit le retour d’un journalisme de surplomb : « J’ai l’autorité, je parle et vous écoutez. » Remettre de la raideur dans la profession n’est pas la bonne solution. Il faut vérifier, certifier, mais aussi converser.

Quant à la future législation, je ne crois pas que l’État veuille dire ce qui est vrai ou faux, comme le craint une partie de la profession. Son souhait est de pousser les médias d’info et les plateformes – Facebook, Twitter, YouTube – à coopérer pour faire le ménage. Et aussi de forcer ces dernières à dévoiler les montants publicitaires en jeu, ainsi que l’identité des acteurs qui se cachent derrière ces manipulations. 

Comment voyez-vous l’avenir proche pour l’information ? 

Ça va être pire avant d’être mieux. Demain, les technologies permettront de créer des vidéos totalement fausses de catastrophes qui apparaîtront absolument vraies pour des millions de gens. On recréera des événements avec des personnages vivants. Si les rédactions n’ont pas investi dans des technologies efficaces pour vérifier les sources, l’origine géographique, la nature, la véracité de ces productions, le faux l’emportera. Des vidéos circulent déjà sur le Net où Obama dit des choses qu’il n’a jamais dites ! Les médias devront vite intégrer les apports de l’intelligence artificielle pour déjouer ces pièges terrifiants. Il faut écouter Amy Webb, une futuriste américaine des médias réputée aux États-Unis. 

Que dit-elle ?

Elle a bâti trois scénarios en excluant d’emblée la vision optimiste où les médias d’information s’allieraient entre eux et mettraient l’accent sur la vérification et la recherche de transparence radicale. Dans son scénario pragmatique, elle prévoit que les journalistes passeront autant de temps à corriger les faits qu’à exercer leur métier de reporter. 

Et dans son scénario catastrophe ?

Selon Amy Webb, les médias céderont la place à des start-up qui publieront de l’info à haute fréquence. Des articles générés par ordinateur et basés sur les sentiments et l’émotion deviendront alors la norme. « Les médias d’info s’effondreront, affirme-t-elle. De vastes campagnes de désinformation se développeront et la démocratie s’écroulera… »

Qu’en pensez-vous ?!

J’ai une certitude : les fake news constituent un danger majeur pour la démocratie. C’est un des phénomènes les plus disruptifs qui soient arrivés à nos sociétés. 

 

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO & JULIEN BISSON

Vous avez aimé ? Partagez-le !