Puisque Noël approche, on nous permettra de comparer le président de la République à l’une de ces boules lumineuses multifacettes qui tournent au-dessus des danseurs lors des fêtes de fin d’année. Elles brillent et enchantent le bal, mais plus d’un noceur est menacé, le lendemain, d’une sérieuse gueule de bois. Pour l’instant, restons-en aux lampions et aux multiples facettes de la boule. Il semble que notre président excite et déjoue à la fois l’analyse, à l’instar des labyrinthes du Politburo soviétique qui nourrissaient autrefois les spéculations des kremlinologues appointés. Que dire qui n’ait pas été dit ? Ou, plus modestement, comment appuyer le trait là où l’on discerne un pointillé ? À la façon du Cyrano de Rostand dans la tirade des nez, on pourrait varier le ton. 

Par exemple, tenez. A-t-on relevé que le 14 mai dernier, lors de la passation de pouvoirs à l’Élysée, un orchestre de chambre joua l’air du champagne du Don Giovanni de Mozart. C’est, comme on le sait, l’histoire d’un libertin métaphysique qui défie l’au-delà et finit englouti aux enfers. Mais, cette après-midi-là, Offenbach suivit, entre la vie parisienne et, justement, Orphée aux enfers. Cela faisait deux fois l’Hadès pour une cérémonie républicaine, quand le président Hollande, lui, s’en tenait plutôt au ronronnement des scooters. Appuyons donc sur le pointillé métaphysique, qui n’avait guère été sollicité depuis les présidences Mitterrand. Voyez plutôt comment, coiffé d’une casquette de détective, nous collectons des indices : éducation chez les pères jésuites, célébration de Jeanne d’Arc en 2016, éléments de morale protestante échantillonnés chez Paul Ricœur, sens pastoral de la mission, mystique de la transcendance française, alliance capital-travail dans une sorte de saint-simonisme fervent, propension au sermon, équilibre entre le spiritualisme laïque et la spiritualité des églises, application à sa propre vie de la parabole des talents, et l’on pourrait continuer longtemps. 

On voit par là qu’il peut exister à une libido dominandi d’autres ressorts que celui d’éblouir sa meuf en la promenant sur le yacht de M. Bolloré. À cette échelle, un être de pouvoir est imprenable, parce qu’il inscrit dans une transcendance intérieure des aspirations qu’il serait court de lire avec les seules lunettes du politologue, voire du journaliste. Cela ne fait pas les affaires de M. Aphatie.

Passons à une autre facette de la boule. Il est commun de dire que le président Macron entend gérer la France comme une start-up, et qu’il voudrait asseoir Mark Zuckerberg dans le fauteuil de Clemenceau. Si vous me pardonnez ce grommellement, mouais. C’est un peu court, jeune homme, on pourrait dire bien d’autres choses en somme. La complexité du moment, c’est qu’on l’accuse d’être un autocrate, quand Macron est en même temps enclin à évoquer un « pacte girondin », une « République de confiance », peignant le tableau à la Léon Bourgeois d’un pays de micro-unités responsables, le diorama rocardien de prospérités locales connectées entre elles. Il parle de « finance équitable » et de « paix construite ». Il veut abolir la « société des statuts » pour celle des responsabilités industrieuses. Ce qui, dans son mythe personnel, renvoie probablement à sa propre étoile : un provincial, n’en déplaise à M. Wauquiez, qui s’est secoué et attend de ses concitoyens qu’ils en fassent autant. 

La France comme start-up ? Relisez plutôt les ouvrages de Georgette Elgey. Macron est moderne par palimpseste. Il faut savoir discerner, derrière les smartphones, un profil assez 1960 de grand technocrate fréquentant les clubs d’idées et lisant Esprit. La filiation delorienne, la bonne volonté sociale, la tentation du prêche et des idées générales. Le club Jean Moulin n’est pas loin. Et, en toile de fond, les réformateurs techniciens des années 1930 à la Jean Coutrot, les communautés ouvertes à la Bertrand de Jouvenel, le frontisme de Gaston Bergery. Ici, M. Aphatie souffre. En écoutant Macron, il est ainsi possible d’entendre sur YouTube, filtré par un poste à galène, l’idéalisme réformateur d’une avant-guerre. Il parle à l’ONU depuis une tribune brevetée à Genève, où Mendès France aspira plus tard à monter. Tout cela réinscrit dans la verticalité constitutionnelle de la Ve République. 

En somme, nous aurions affaire à une hybridation khâgneuse, à une synthèse de synthèses. Macron rédige une dissertation d’élève civilisé dans la considération d’une mémoire qui s’efface, marquée au sceau du volontarisme des grands commis d’État. On l’a entendu citer la « part maudite » de Georges Bataille et le principe d’« effectivité » de la philosophe Simone Weil – toujours les années 1930. M. Aphatie se souvient-il du pacte Briand-Kellog et de la popote de la banque Worms ? Peut-il situer François Perroux et Pierre Laroque ? Le jeune président jette beaucoup de vieux légumes dans la soupe de Mark Zuckerberg, à laquelle les ignorantins veulent le résumer. Une dernière remarque : il ne faut pas forcément voir dans les déplacements polymorphes, les surgissements multiples, un symptôme du « bougisme » contemporain. Il peut s’agir, assez simplement, d’une façon de vérifier que reste possible un usage ouvert de notre liberté. 

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