Pour les journalistes européens en poste à Paris, l’accession à l’Élysée d’Emmanuel Macron témoigne d’abord d’un parcours intellectuel et politique très français. Ce qui le rend si difficile à décrypter…

Une anecdote. Tout récemment élu, le président accorde un premier entretien à la presse européenne en juin. Il commence par une longue tirade sur l’état de la démocratie dans le monde de Donald Trump, de Xi Jinping et de Vladimir Poutine. Nous sommes alors huit correspondants autour de lui, sur la terrasse du palais présidentiel, face au jardin. À mes côtés, l’envoyé du quotidien polonais Gazeta Wyborcza et le représentant à Paris d’El País. Le premier me glisse à voix basse : « Qui d’autre, dans l’Union européenne, se lancerait, sitôt élu, dans une vaste analyse du monde ? »

Qui d’autre, en effet ? Seul un président français peut parler comme cela, en mêlant l’histoire, la philosophie, les nécessités politiques et le commerce. Et pourquoi lui, ici, à l’issue d’un très improbable sprint présidentiel ? Depuis qu’Emmanuel Macron a déboulé dans le paysage politique hexagonal, bousculant tout sur son passage jusqu’à sa victoire du 7 mai, la question nous taraude tous. Sa jeunesse ? Aucun correspondant européen n’aurait parié sur le fait que, dans ce vieux pays qu’est la France, avoir rendez-vous avec les urnes à 39 ans serait un atout. Son intelligence ? Même les papiers les plus élogieux parus dans le Financial Times et The Economist – tous deux ravis de ce chef de l’État français capable de comprendre enfin les marchés et le libéralisme – ne vont pas jusqu’à louer sa supériorité intellectuelle. Son parcours ? L’analogie avec l’ascension fulgurante de Bonaparte que nous avons tous relevée est tout de même un peu courte. Alors, pourquoi Macron ? C’est peut-être le Guardian qui, cet automne, a fourni la réponse. Plutôt que de confier son long portrait de président en exercice à sa correspondante dans la Ville Lumière, le grand quotidien britannique a… préféré traduire un long récit – élogieux – de l’écrivain Emmanuel Carrère. Confidence d’un collègue basé à Paris : « Tu vois, il faut être français pour comprendre Macron. »

J’ai donc replongé dans les archives de ces vingt derniers mois. Objectif: retrouver des articles européens pertinents sur cette énigme présidentielle sur laquelle les journalistes français, eux aussi, semblent sérieusement buter. Le résultat est sans surprise, mais il en dit long sur la perception de la France vue par ses voisins proches. 

1) Emmanuel Macron est le pur produit du système présidentiel installé et personnifié par le général de Gaulle. J’ai retrouvé un article de la Süddeutsche Zeitung qui parlait d’un « de Gaulle jeune ». Bien vu. Même milieu bourgeois du nord embrumé de la France. Même volonté de casser les codes. Même sentiment de supériorité. Il y a du militaire qui s’ignore dans Macron, illustré par sa forme physique impeccable. « Il boit, il fume, il b… ? » s’inquiétait, un jour d’avril, en marge d’un meeting d’En Marche !, une collègue portugaise. Je n’ai pas su répondre. Même la gastronomie, art politique par excellence, semble être avec lui aux abonnés absents.

2) L’actuel président français n’aime pas la politique. C’est l’exercice du pouvoir qui le guide, avec ce fameux mot d’ordre sur la « transformation » de la France. Un article magistral du Spiegel, fin 2016, le décrit comme l’exact opposé de cette « maîtresse en ficelles partisanes » qu’est Angela Merkel. Or, à part la France, quel autre pays européen peut se permettre un président qui croit aux électeurs et méprise les partis ?

Poursuivre l’énumération exigerait un article bien plus long que celui-ci. Allons par conséquent directement à l’ultime clé de lecture : la séduction. C’est ce que la presse européenne accepte au fond le moins chez Emmanuel Macron, cette volonté simultanée d’impressionner et de cajoler. Chez Brigitte aussi, son épouse à la mise si soignée, et parfois un peu « olé olé, presque indécente » pour une sexagénaire, dixit le Corriere della Sera. Un chroniqueur de la Neue Zürcher Zeitung de Zurich avait dès l’annonce de sa candidature, en novembre 2016, parlé de Macron comme de « la nouvelle marque de l’industrie française du luxe ». Pas faux. Qualité. Rayonnement. Marketing. Et volonté de se distinguer des autres « marques ». Vous avez dit made in France ? 

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