Impossible de saisir l’âme napolitaine sans évoquer la musique qui la célèbre. Dès sa fondation, la ville de Naples est associée aux chants, ceux de la sirène Parthénope et ses sublimes mélodies. Les chants populaires ont toujours scandé le quotidien des Napolitains, au point d’exaspérer au xiiie siècle le roi de Naples Frédéric II de Souabe, qui a publié un édit visant sans succès à en restreindre l’étendue. Dans la ville ou sur les flancs du volcan, la tradition persiste aujourd’hui. « Dans les villages du Vésuve, vous pouvez entendre des mélodies pour tambour et voix, et les jeunes de 12 ans maîtrisent des instruments traditionnels », explique Ciro Costabile, fondateur du Neapolis Ensemble, une formation créée en 2003, spécialisée dans l’interprétation des répertoires populaires napolitains. 

Dans les années 1960, Roberto de Simone, compositeur, ethnomusicologue et ancien directeur artistique du San Carlo, a opéré un vaste travail de recensement de ces chants en voie de disparition. À la manière de Bartok qui avait sillonné l’Europe de l’Est pour recueillir les chants magyars au xxe siècle, Roberto de Simone a exploré la Campanie, magnétophone en main, pour graver ces mélodies ancestrales. Une manière de renouer avec l’identité napolitaine, bafouée par les aléas de l’histoire. La contestation politique est au cœur de ces chants. « Pour -comprendre la musique napolitaine, il faut comprendre l’histoire de Naples », insiste Ciro Costabile, dont le Neapolis Ensemble a notamment gravé un disque dédié aux musiques de l’époque de l’Unité italienne (Napoli, 2006, Distr. Calliope/Harmonia Mundi). « L’État fut une dictature féroce qui mit à feu et à sang l’Italie méridionale, crucifiant, massacrant, enterrant vivants les petits paysans sur lesquels les écrivains officiels tentèrent d’apposer la marque infamante de brigands », écrivait le penseur marxiste Antonio Gramsci (1891-1937). 

La musique est dans ce contexte comme un cri monté du ventre de Naples. Pour Ciro Costabile, le Neapolis Ensemble est « un noyau de résistance ». Résistance de la langue, résistance politique. Son répertoire s’étend du xiiie au xxie siècle. Les traces de la première chanson napolitaine, datant de l’an 1200, exprime déjà une protestation contre le gouvernement. Un engagement qui se confirme au fil du temps. « Il est troublant de constater que dans la musique du xvie siècle, les textes sont encore très actuels. Les paroles de certains chants dénoncent le despotisme du vice-roi espagnol, qui se comportait comme Berlusconi. Après cinq siècles, la situation n’a pas changé. La dénonciation du pouvoir ou de la pauvreté sont des problématiques contemporaines. » Pour autant, Ciro Costabile déplore qu’on associe toujours Naples aux « péchés de l’humanité ». Et de poursuivre, « ce n’est pas Naples qui a des problèmes, c’est l’Italie tout entière ».

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