Dans le comté principalement rural de Ross, dans l’Ohio, où j’ai vécu toute ma vie, les gens sont pour la plupart un peu conservateurs dans leurs opinions, et les républicains y sont plus nombreux que les démocrates. Et pourtant, parce que Donald Trump incarnait tout ce que mon arrière-grand-père m’avait appris à dédaigner dans le petit bourg de Knockemstiff où j’ai grandi, je ne croyais pas que Trump emporterait le comté ou l’Ohio en novembre dernier ; j’ai donc été choqué d’apprendre qu’environ deux fois plus de gens ici avaient voté pour lui plutôt que pour Hillary Clinton. Lorsqu’on leur demande pourquoi ils l’ont soutenu, ceux-ci s’accordent sur la même litanie de raisons et d’excuses que tout le monde a déjà entendues désormais – armes à feu, emplois, immigration, avortement, Obamacare, terrorisme, etc. Des problèmes que la NRA*, les grandes entreprises, les églises fondamentalistes, les milliardaires dingos, FOX News et les anarchistes de droite continuent d’attiser grâce à une propagande conçue pour jouer sur la colère et la peur, en sachant très bien qu’une personne fâchée et craintive ne pensera pas et ne votera pas rationnellement. 

Malheureusement, cela a fonctionné. Et maintenant nous avons un président qui, né avec une cuillère en argent dans la bouche, se vante sans cesse de sa richesse et même de son QI. Un homme qui rabaisse les femmes, les handicapés, les veuves de guerre et même les héros militaires. Un homme qui regarde les dictateurs comme ses modèles et arnaque joyeusement ses ouvriers, ses fournisseurs et les contribuables américains. Un homme qui, franchement, n’aurait pas tenu plus de deux heures sans se faire botter le cul dans le Knockemstiff où j’ai grandi. Aujourd’hui, s’il venait à s’y montrer, je crains malheureusement qu’il serait accueilli par un défilé. 

Ces derniers temps, j’ai beaucoup réfléchi à combien les gens qui vivent autour de moi ont changé depuis l’époque de mon arrière-grand-père. Herbert Cottrill n’a jamais blâmé le gouvernement ou qui que ce soit d’autre pour son sort dans la vie, qui était difficile. Il s’échinait sur quelques hectares rocheux, où lui et mon arrière-grand-mère vendaient des poulets. Chaque année, ils élevaient un veau pour payer leurs impôts. Ils n’ont jamais possédé de voiture et furent probablement la dernière famille dans la vallée à acheter une télévision, à l’exception d’un ou deux réfractaires qui ne croyaient pas qu’il fût permis aux vrais chrétiens d’en avoir une dans leur maison. Il fabriquait son propre vin et cultivait son propre tabac. Il lisait le journal à sa femme tous les soirs. Il a sans doute mené une vie simple, mais il avait du bon sens ; et il n’a jamais menti ou trompé personne. Il était considéré comme un homme bon et honnête par tous ceux qui le connaissaient.

La direction imprudente que mon pays a choisie l’année dernière peut être attribuée à beaucoup de choses : la technologie, les salaires stagnants, la propagation du nationalisme, l’épidémie d’opiacés, l’anti-intellectualisme, la désindustrialisation, etc. Mais le plus important dans tout cela, c’est que les gens sont simplement malades et fatigués de l’establishment inutile de Washington. Beaucoup préféraient voir le chaos total plutôt que d’endurer quatre années de plus avec la même vieille façon de faire les choses, comme cela aurait été le cas avec Hillary. Il ne fait aucun doute que Washington est devenu un cloaque au cours des quatre ou cinq dernières décennies, et il est presque certain que rien ne serait arrivé sous sa direction pour changer cela. Et donc, en novembre dernier, ils ont dit : au diable, peut-être Trump fera-t-il bouger les choses, et, en fin de compte, est-il pire que les autres ?

La réponse à cette question, bien sûr, est oui, avant tout parce que c’est un homme proche de la démence, un tyran égomaniaque qui a le doigt sur le bouton nucléaire. Mais aussi effrayant que cela semble pour le reste d’entre nous, et cela comprend désormais beaucoup de républicains pleins de regrets, il a été capable de conserver sa base malgré neuf mois d’échecs, en divertissant ses partisans avec un mélange bizarre de blagues cyniques, d’insultes haineuses et de mensonges éhontés ; et, évidemment, ce manège vaut mieux en soi pour ses électeurs que d’assister à une autre performance médiocre d’un politicien de carrière. Donc maintenant, on en est là, du pain et des jeux, comme les Romains en ont joui pendant un moment avant la fin de leur empire.

Je peux imaginer comment mon arrière-grand-père aurait réagi à ce qui se passe ces jours-ci, à Trump et Bannon, et McConnell, et Ryan, et à tous ces politiciens de métiers incapables de comprendre ou de se soucier de quoi que ce soit d’autre que d’argent ou de pouvoir. Tout d’abord, il n’aurait pas écouté cinq minutes de leurs bêtises. Il serait sorti et aurait biné son jardin, aurait peut-être fumé sa pipe sous l’ombre d’un arbre et regardé les nuages passer. Il aurait lu les nouvelles locales à sa femme et aurait souri des bandes dessinées, puis se serait couché, convaincu qu’il avait fait tout son possible ce jour-là pour vivre honnêtement. Mon arrière-grand-père, qui n’a jamais gagné plus de quelques centaines de dollars par an dans sa vie, et n’a jamais causé de peine à personne, était un type bien. Bien meilleur que Donald Trump ne le sera jamais. 

*National Rifle Association : lobby pro-armes à feu.

Traduction de Julien Bisson

 

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