Au milieu du concert d’indignations suscité dans la presse bien-pensante américaine par la personnalité de Trump, ses outrances, ses errances, ses carences, d’autres voix se font entendre dans certains journaux pour ramener le phénomène à ses justes proportions. Non pas pour défendre l’indéfendable promoteur immobilier que l’Amérique s’est donné comme commandant en chef, bien sûr. Simplement pour tendre un cruel miroir à leur pays, et éviter de se servir de la psychologie chaotique du personnage comme commode paravent pour oublier qu’il n’est pas un fléau surgi de nulle part. L’une de ces voix précieuses est celle du journaliste Matt Taibbi, pour qui l’élection de Trump n’est au fond que l’aboutissement d’une longue histoire, la manifestation la plus visible de la décadence d’une nation où le meurtre et l’injustice ont été massifiés. « Le masque de la respectabilité est tombé, écrit-il ainsi dans Rolling Stone, nous nous excusons d’être nous-mêmes maintenant que la maladie se fait jour. » Les appels tardifs à la résistance sont pour lui typique d’un mécanisme de déni. « Cela permet de faire de Trump la source de tout le mal. Nous voyons ce clown à la Maison Blanche et notre dignité en est outragée. Mais si on y réfléchit bien, à quoi donc devrait ressembler un président américain ? » Il est certain en effet que psychologiser le problème et insister sur la dangerosité de Trump, notamment sur la possibilité d’un bras de fer apocalyptique avec la Corée du Nord, ne fournira jamais une feuille de route politique. Ceux qui misent sur une fin de mandat précoce, une destitution, une implosion en vol quelconque qui effacerait d’un coup d’ardoise magique le locataire de la Maison Blanche, font du surplace. Tout porte à croire, au contraire, que Trump ira jusqu’au terme de son mandat.

À en croire John R. MacArthur, directeur du prestigieux Harper’s Magazine, autre voix iconoclaste des médias américains, ce qu’il y a de véritablement dangereux avec Trump, c’est en effet que si l’élection avait lieu aujourd’hui, un an plus tard, il serait à nouveau élu, et qu’il a même des chances certaines de se voir réélu dans trois ans. Aucune opposition politique véritable ne parvient à exister aujourd’hui, souligne le journaliste, qui s’était déjà montré d’une clairvoyance précoce à l’égard de l’impuissance de la présidence Obama. Aucune, hormis les amis des Clinton dont les gens ne veulent plus. Et de rappeler que si Trump est à ses yeux bel et bien un quasi-psychotique, et que le risque existe toujours qu’un fou nord-coréen puisse se tromper sur les intentions d’un autre fou, il n’a « jusqu’ici rien fait vraiment d’horrible ». D’une certaine façon, il n’est pas assez structuré pour cela, « pas assez concentré sur sa tâche », souligne MacArthur en plaisantant à peine. Et de rappeler les authentiques horreurs à ses yeux commises par les précédents présidents américains, de l’intervention catastrophique au Vietnam à l’invasion criminelle de l’Irak par Bush en 2003, en passant par le bombardement de Belgrade par l’OTAN sous le mandat Clinton. Plus qu’un fasciste, Trump est à ses yeux un ploutocrate, dont le seul mérite fut de rouvrir le débat sur le libre-échange, mais qui s’empresse désormais de trahir ses engagements de campagne en arbitrant en faveur des riches, s’apprêtant notamment à leur ménager de colossaux avantages fiscaux, prenant ainsi le risque de voir ses électeurs petits Blancs désespérer définitivement du vote démocratique. La véritable dangerosité de Trump, c’est avant tout d’aggraver le mal dont il ne fut que le symptôme. 

 

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