De la tribune de la Chambre montait un copieux discours de comice agricole déclamé avec emphase. De son banc, Léon Daudet, député de Paris dans les années 1920, obtint la permission d’interrompre l’orateur. « Monsieur le président, pourriez-vous me prêter notre collègue ; je voudrais l’emmener à la maison un jour de congé scolaire, je suis sûr qu’il amuserait mes enfants. » En écoutant Jean-Luc Mélenchon, il m’arrive de regretter de ne pas avoir de bambins à distraire. 

Il y réussirait comme personne : il y a en lui plusieurs héros impérissables de notre littérature. Il entre dans son bagou quelque chose de Labiche et de son monsieur Perrichon qui proclamait : « Que l’homme est petit quand on le contemple du haut de la mère de glace ! » Comme le bourgeois persuadé d’avoir sauvé un compagnon de voyage, le député de Marseille déclarerait volontiers à ses camarades : « Vous me devez tout, je ne l’oublierai jamais ! » Après Labiche, Christophe, le créateur de La Famille Fenouillard. Lorsque l’ancien sénateur déclame : « Que les dieux quittent la scène. Nous sommes seuls. Notre émancipation est à ce prix », Agénor Fenouillard n’est pas loin qui déclarait à Artémise et Cunégonde : « Sachez, mes filles, que nous sommes des atomes jetés dans le gouffre sans fond de l’infini. » Et, lorsque l’on évoque « Méluche », comment ne pas penser au capitaine Haddock ? 

Certes, le glossaire de ses invectives est moins inventif que celui du châtelain de Moulinsart, mais sa profusion est indiscutable. « Petite cervelle » (à un journaliste), « grosses bouches à fric » (pour le Medef), « affameur des peuples » (pour le FMI), « gorgée comme une tique sur le cou d’un chien errant » (pour BNP Paribas) et, à la cantonade, « crânes d’œuf », « pète-sec », « pieds nickelés », « pisse-vinaigre », « voyous », « salauds », « bureaucrates serviles ». 

Pas de quoi prendre la mouche ou monter sur son grand cheval, c’est juste une façon de parler ancrée dans la tradition trotskiste. L’historien Jean-Guillaume Lanuque a relevé quelques injures courantes en usage chez les partisans et les exclus de la IVe Internationale : « brigands, larbins, clowns, faussaires, Versaillais, capitulards, gangsters, parasites, terroristes, charognards, renégats, aventuristes, liquidateurs, rats, dégénérés, véroles, confusionnistes, opportunistes, bureaucrates, et, bien sûr, agents de la CIA ou (et) du KGB ». Jean-Luc Mélenchon a grandi politiquement en tétant de ce lait-là à l’OCI lambertiste, qualifiée par la LCR « d’extrême droite de l’extrême gauche ». Épithètes malsonnantes et imprécations surjouées sont pour lui ce que l’imparfait du subjonctif est à Le Pen. À l’occasion, il y mêle du latin pour mettre en garde son interlocuteur (in cauda venenum) ou lui signifier de ne plus s’adresser à lui qu’avec dignitas et gravitas.

Cette sympathique croyance dans le pouvoir du verbe s’accompagne d’une confiance inentamable dans la vertu des manifs. Aussi n’est-il jamais aussi épanoui que lorsqu’il prend la parole au cours de l’une de ces marches qu’il excelle à organiser et dont il fait l’équivalent politique des processions pour la pluie. Les chaînes d’info s’en montrent friandes et se font volontiers maltraiter par un orateur qui leur doit beaucoup. Peut-être Jean-Luc Mélenchon a-t-il révélé son projet intime lorsqu’il déclara à une journaliste de Libération : « Et si j’étais un artiste ? » 

Vous avez aimé ? Partagez-le !