KOLIN KOBAYASHI
Journaliste japonais, correspondant à Paris depuis quarante ans, militant antinucléaire.
Les tensions actuelles ont ravivé la mémoire des vieilles générations, particulièrement des hibakusha – les survivants d’Hiroshima et de Nagasaki – et de leurs descendants. Ce souvenir est profondément ancré dans leur esprit. Pour les autres Japonais, la menace est relativement abstraite. Il y a bien des régions, comme celle de Tohoku, dans le centre de l’archipel principal, où des exercices d’évacuation par autocar sont réalisés en prévision d’une éventuelle attaque, mais l’initiative vient des autorités japonaises, d’un gouvernement très révisionniste qui tente d’attiser la peur, en comptant sur le soutien d’un certain nombre de médias pro-gouvernement. La situation politique est certes tendue, mais l’éventualité de faire la guerre me paraît imaginaire, voire paranoïaque. Aujourd’hui, les Japonais ont surtout peur d’un nouvel accident nucléaire civil. Au Japon, la terre tremble presque tous les jours. Il ne sert à rien de construire des abris antiatomiques : si une catastrophe a lieu, ou si une guerre se déclare, on ne pourra rien faire. Il faut désamorcer les tensions et cesser de parler de manière unilatérale, comme si les Coréens étaient les seuls dans cette histoire. Depuis vingt ans, l’armée américaine effectue des exercices militaires de grande ampleur dans la mer du Japon. C’est normal que les Coréens soient devenus hystériques. 

 

DOMINIQUE KANG
46 ans, né en France de parents sud-coréens, superviseur d’escale pour Korean Air.
L’autre jour, au téléphone, mes parents me racontaient que l’ambiance n’était pas terrible en Corée du Sud, qu’ils n’étaient pas rassurés. Qu’ils ressentaient clairement la tension. Mais il faut savoir qu’ils ont 70 et 80 ans, qu’ils votent à droite et qu’ils ont surtout peur de voir le pays basculer vers le socialisme. Le point de vue de mes amis est bien différent. Pour eux, Trump et Kim Jong-un font les imbéciles mais n’oseront jamais déclencher la guerre, les risques sont trop grands. Leur quotidien n’a pas été bouleversé par la bêtise de ces dirigeants, tout le monde continue de sortir sans trop angoisser. C’est un peu comme en France avec le terrorisme : on sait que le risque est là mais on continue de vivre comme d’habitude. C’est bientôt la fête de la Lune et les préparatifs ont lieu comme d’ordinaire. Le nombre de passagers sur Korean Air est toujours le même. On parle de tutoriels qui circuleraient sur la toile coréenne, expliquant comment préparer un sac en cas d’attaque nucléaire, mais ces choses-là existent depuis longtemps. La péninsule a toujours été sous tension, avec la DMZ, la zone coréenne démilitarisée. Des exercices et des entraînements de ce genre avaient déjà lieu avant. Les médias, notamment étrangers, en parlent davantage aujourd’hui, rien de plus. 

 

MIYAJIRI KUNIO
Retraité, habitant à Nagareyama, à 40 kilomètres au nord de Tokyo.
J’ai appris qu’un missile nord-coréen avait été lancé grâce à une alerte sur mon téléphone. On nous recommandait d’être prudents, c’est tout. Ne rien ramasser au sol qui pourrait ressembler à un projectile, et s’abriter dans des bâtiments solides. Je ne me suis pas trop inquiété : le missile a volé à des centaines de kilomètres au-dessus du Japon. Dans ces conditions, il est difficile de lui donner une réalité. Autour de moi, personne ne se prépare à une attaque nucléaire. La vie quotidienne des Japonais ne semble pas avoir été bouleversée par la menace. Personnellement, je crois en la possibilité d’une guerre, étant donné les dernières déclarations des leaders américains et nord-coréens, mais il est peu probable qu’elle touche directement le sol japonais. Je ne dis pas que les récents essais ne sont pas inquiétants, mais si nous commençons à avoir peur maintenant, nous allons nous épuiser rapidement. 

 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

 

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