Ils m’emmenèrent
Vers un lieu solitaire.
Ils dirent : « Tu y crois
À la grande race des Blancs ? »

Je dis : « Monsieur,
À dire la vérité,
Je veux bien croire n’importe quoi
Si seulement vous me lâchez. »

Le Blanc dit : « Mon garçon
Comment se peut-il
Que tu sois là
Et que tu m’assassines ? »

Ils me frappèrent sur la tête
Et m’envoyèrent par terre.
Et puis à coups de pied
Ils me rossèrent.

Un vantard dit : « Espèce de Nègre
Regarde-moi bien en face,
Et dis-moi que tu y crois
À notre grande race. »

 

Le Ku Klux Klan était particulièrement actif dans les années 1920, comptant plusieurs millions de membres. C’est à la même époque qu’à New York artistes et écrivains de Harlem débattent de la spécificité de la condition « nègre ». Parmi eux, le romancier, dramaturge et poète Langston Hughes s’inspirera du blues pour que dansent ses vers. Ses poèmes sont autant de tableaux humoristiques et pathétiques de la misère noire. Paru en 1942 dans Shakespeare in Harlem, « Ku Klux » témoigne de son art, à la fois protestataire et musical. Les mots courts, les répétitions, le recours à la rime et aux assonances combinent une mélodie sautillante à une structure d’une grande simplicité. Il y a là à la fois quelque chose de la fluidité d’un García Lorca, que Langston Hugues avait traduit, et de l’efficacité didactique de leur contemporain, Bertolt Brecht. Car, c’est un dialogue à sous-texte qui nous est ici livré. Où le langage soutenu d’un noir en danger s’oppose à la fruste violence du dialecte des blancs. Où l’ironie du narrateur démontre la vacuité du suprémacisme blanc qui ne repose que sur la force. Le mot nigger suffit pour dire « toute l’amertume des années d’outrage et de lutte en Amérique », et l’opposition entre Mister et Boy à rappeler des siècles de domination. Même l’abréviation que constitue le titre fait sens. Car Ku Klux vient du grec kuklos : cercle. Et ce poème se clôt sur la même question qu’à la première strophe. Comment échapper à l’incessant retour des assassins racistes ? 

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