Preuve que le poisson pourrit toujours par la tête, c’est depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis que les hate groups, parmi lesquels les fameux suprémacistes blancs, ont connu un pic de progression brutal, après avoir été relégués pendant plus d’un demi-siècle dans les catacombes de la société américaine. La chose s’est produite dans ce sens, il est important de le souligner. Les chiffres sont sans appel sur ce point.

Le problème racial a toujours été la plaie à la fois secrète et béante de l’Amérique, mais rien ne laissait présager qu’il puisse à nouveau envahir ainsi l’espace public dominant, avant que n’accède à la Maison-Blanche l’ex-promoteur immobilier. Nulle progression lente de la « fierté blanche » dans les années précédentes, qui aurait fini par se traduire par une telle victoire dans les urnes. Ainsi va la xénophobie, qui avance souvent par effet de cliquet, quand elle reçoit des autorisations symboliques venues d’en haut, de la part du pouvoir bien sûr, mais aussi des intellectuels. 

Une leçon sur laquelle la France devrait du reste méditer, elle qui donne toute l’audience possible, depuis plus de quinze ans, à des académiciens agités de l’identité et autres fabulateurs télévisés de la prétendue soumission à l’islam des classes dirigeantes du pays. 

Une fois ceci posé, comment réagir face à la percée désormais avérée d’une bande de revanchards, qui cherchent à se persuader, contre l’évidence démographique même, ou peut-être en raison de celle-ci justement, que les États-Unis seront toujours le fief de l’homme blanc dominateur ? Comment lutter avec efficacité contre la propagation de ces idées inhumaines, et pas seulement auprès d’un public acquis d’avance, pour se donner bonne conscience dans un confortable entre-soi ? Le philosophe Jacques Rancière, dans un texte mémorable paru dans Le Monde à la fin des années 1990, se montrait sur ce point d’une grande cruauté envers nous autres journalistes, écrivains ou militants, très soucieux de penser comme il faut, dénonçant avec toute l’indignation requise ces « petits Blancs » retardés. Inspiré par la verve pamphlétaire d’un Swift, ce texte s’intitulait, de façon pour le moins provocatrice, « Sept règles pour aider à la diffusion des idées racistes en France ».

Le penseur, qu’on ne saurait suspecter de complaisance à l’égard de la droite extrême – qui d’ailleurs le hait cordialement –, y pointait notamment la contre-productivité de la dénonciation perpétuelle du racisme dans l’espace public. Il y relevait que celle-ci donne une publicité inespérée à des idées minoritaires, et surtout, c’est le point important, qu’elles les installent comme le cadre permanent de réflexion, comme si la question de la race était bien en définitive « la » question, celle sur laquelle il est indispensable de se positionner sans relâche. Il notait également que l’interpellation constante des politiques à ce sujet et l’injonction qui leur est faite de condamner ces positions leur permettent de se voir décerner à peu de frais le brevet d’antiracisme grâce auquel il leur est possible « d’appliquer avec fermeté et d’améliorer, si besoin est, les lois racistes destinées, bien sûr, à enrayer le racisme ». Ce texte, découvert des années après sa parution, est décidément très troublant. Il a l’immense mérite de questionner le juste positionnement à adopter face au « racisme sale », pour ne pas servir de marchepied commode au « racisme propre » de lois toujours plus sécuritaires. Comment lutter contre des idées qui n’ont pas de fondement sans leur donner corps par là même dans l’espace public ? Ce problème n’est toujours pas résolu. 

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