Difficile de faire parler un ou une smicarde. Ce n’est pas la pauvreté absolue. On n’est pas tout en bas de l’échelle. Pourtant il y a une réticence, une douleur à témoigner. C’est que la précarité montre le bout de son nez sans crier gare, dans les gestes les plus banals de la vie quotidienne. Chaque dépense compte quand on a le sentiment de ne pas compter. D’être un oiseau sur la branche. Humiliation, violence silencieuse. Grands moments de solitude, comme devant l’automate de la station d’essence, quand on se demande s’il va accepter votre carte bancaire ou la rejeter, et vous contraindre à repartir le réservoir vide. Au SMIC, pas le droit d’être malade. Il faut que tout marche, c’est-à-dire que rien ne tombe en panne. Ni le corps, ni la voiture, la mobylette ou les équipements ménagers. Pas d’imprévu possible. Sinon on sort du circuit, sauf à bénéficier d’un réseau d’entraide et de solidarité autour de soi, amis, famille, débrouille. « Avec le SMIC on n’est pas libre », confie un habitué de ces calculs d’apothicaire pour réussir à boucler le mois. Tout est sans cesse questionné. Chauffer ou pas, se résoudre à la colocation ou pas, accepter un sale boulot ou pas. Et que dire quand le SMIC est le plafond haut de ce qu’on peut espérer, quand on est à trois quarts de SMIC ou moins, quand du travail on n’a que les miettes ? Il paraît que la croissance redémarre. Mais on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance. Pour être vraiment en marche, une société ne doit laisser personne sur le bord de la route. 

Illustration : Le funambule Philippe Petit photographié par René Burri, New Jersey, 1974
© Rene Burri/Magnum Photos

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