Une sorte de brouillard. Fin, presque transparent. Il est si discret qu’on le perçoit à peine. La pilule fabrique comme une légère brume à l’intérieur de nos corps de filles. Tout commence généralement à l’adolescence, quand assouvir ses premiers désirs vaut bien quelques désagréments. On accepte de sentir nos corps changer en ingérant un médicament, tous les soirs, à la même heure. Douleurs, saignements, troubles de l’humeur... Leçon no 1, mesdemoiselles : l’amour fait mal ! Mais les gynécologues sont rassurants : « Soyez patiente, vous allez vous y habituer. » Parole d’homme, bien souvent. Les copines qui ont commencé plus tôt confirment : la souffrance s’estompe rapidement. Alors, on attend bien sagement. La tempête passe et l’on oublie progressivement la manière dont nos corps vibraient avant d’être conditionnés par la chimie, rythmés par des cachets. On ne prend pas conscience de ce brouillard qui s’est installé et qui, discrètement, apaise nos colères, maîtrise nos humeurs, bride nos désirs et nous plombe le moral, très légèrement. La mémoire reviendra dix, quinze ans plus tard, quand les effets de la toute dernière plaquette se seront évaporés. On prend conscience du poids de la pilule quand on l’arrête. On discute souvent de ses effets secondaires sur le corps des femmes, mais il serait temps de parler de ce que signifie vivre sans. « Un profond bien-être », disent certaines ; « une reconnexion », « une libération », « une joie sereine », disent encore d’autres femmes qui découvrent pour la première fois depuis l’enfance un corps vivant au rythme de la nature. Le soleil après la pluie.  

Illustration : Anonyme, XXe siècle
© Centre Pompidou, Mnam-cci, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost

 

 

 

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