Dans quel contexte la pilule contraceptive a-t-elle été créée ?

La pilule est née dans les années 1950 aux États-Unis, sous l’impulsion de Margaret Sanger. Cette philanthrope, également féministe, voulait développer des méthodes contraceptives. Elle s’est associée à des financeurs et des scientifiques, dont Gregory Pincus, un biologiste qui étudiait la physiologie de la reproduction. Pincus est parti du constat suivant : une femme enceinte est noyée par les hormones fabriquées par son embryon et par elle-même. Son hypophyse perçoit ce niveau d’hormones très élevé et par conséquent ne déclenche plus l’ovulation. Il a alors eu l’idée de donner une dose d’hormones progestatives et œstrogéniques constante aux femmes pour empêcher une grossesse [les œstrogènes sont les hormones naturelles qui régulent le cycle menstruelle de la femme ; la progestérone est, elle, l’hormone féminine qui sert à préparer l’uterus pour une grossesse]. Les premiers tests ont été réalisés à Porto Rico.

Pourquoi à Porto Rico ?

L’île de Porto Rico était un territoire appartenant aux États-Unis, mais semblable aux pays en développement, avec une natalité effroyable. Les femmes ne voulaient plus être enceintes constamment et se portaient volontaires. Ces tests poseraient de réels problèmes éthiques aujourd’hui car ils étaient réalisés directement sur l’être humain. Et à l’époque, les effets secondaires pouvaient être dramatiques. C’est au cours de ces tests que Pincus a pu prouver que l’administration d’hormones en continu avait un effet contraceptif. Il s’est aussi rendu compte que la pilule provoquait des symptômes de grossesse comme la nausée, les seins qui gonflent, la prise de poids et la baisse de libido, et que plus la dose était importante, plus les symptômes étaient forts. C’est pour cette raison que l’on a réduit les doses un peu plus tard. 

Le contrôle des naissances procède-t-il de la mise sur le marché de la pilule ?  

Non. En Angleterre, par exemple, la natalité a commencé à baisser au XIXe siècle grâce à une meilleure connaissance des méthodes contraceptives au sein des foyers. Le retrait était beaucoup pratiqué. Les méthodes de contraception sont très anciennes. Les premiers préservatifs datent de l’Égypte ancienne !

Quid de la France ?

En France, une loi datant de 1920 interdisait la promotion des méthodes contraceptives. C’était l’après-guerre, il fallait repeupler le pays. Quand la loi Neuwirth a autorisé l’usage de la contraception orale en 1967, le discours a changé et les femmes ont commencé à avoir accès à l’information. Mais, encore une fois, elles contrôlaient déjà leurs grossesses par d’autres moyens.

Comment la pilule a-t-elle évolué au fil du temps ?  

Les scientifiques se sont d’abord rendu compte que l’on pouvait bloquer l’ovulation avec moins d’hormones. En baissant les doses, on a diminué les risques de thromboembolie – la formation d’un caillot de sang dans un vaisseau. La deuxième différence concerne les progestatifs de synthèse, dont l’inconvénient était d’être très androgénique : ils avaient tendance à faire pousser les poils, donner de l’acné et pouvaient provoquer des chutes de cheveux chez certaines femmes. En essayant de trouver des progestatifs moins androgéniques, les chimistes de l’industrie ont fini par fabriquer des produits, comme Diane-35, dont l’objectif était de traiter l’acné. À l’origine, cette pilule dite de troisième génération ne dispose pas d’une autorisation de mise sur le marché en tant que contraceptif. La recommandation était de la prescrire trois mois seulement. Mais, sous l’effet du marketing industriel, des dermatos et des gynécos l’ont prescrite à toutes les filles qui avaient des boutons. Sur le plan scientifique, ce n’est pas une bonne attitude. On ne traite pas deux problèmes aussi différents que la contraception et l’acné avec un même produit. 

Que pensez-vous de la diversité des pilules qui existent aujourd’hui ? 

En France, il y a beaucoup plus de pilules commercialisées que nécessaire. On pourrait se passer de la moitié d’entre elles. En revanche, une seule ne suffirait pas car toutes les femmes sont différentes. Les effets secondaires ne sont pas les mêmes pour toutes. Et la manière de les supporter non plus. Pour une adolescente, prendre du poids peut être très mal vécu. Il faut pouvoir lui proposer une solution alternative.

Dans l’idéal, la pilule devrait-elle être faite sur mesure pour chaque femme ?

C’est la prescription qui devrait l’être. Un médecin devrait toujours prêter attention à l’histoire de sa patiente. Prenons par exemple une femme qui a pris des rondeurs à la puberté, n’a pas un poil d’acné et dont les seins gonflent au cours du cycle. C’est un profil œstrogénique : les œstrogènes sont un peu plus actifs chez elle que chez d’autres femmes. À l’inverse, une femme plus mince avec de l’acné et sans symptôme est plutôt androgénique. On donnera alors une pilule progestative à un profil œstrogénique, et une pilule œstrogénique à un profil androgénique, pour compenser. Trois mois après la prescription, il est indispensable de contrôler les effets et de changer de pilule si besoin. On ne peut jamais savoir à l’avance quels seront les effets précis sur chaque femme. 

Et si une femme ne supporte aucune pilule ? 

Certaines femmes ne sont pas faites pour prendre une contraception hormonale. Il existe d’autres options, comme le stérilet par exemple. Malheureusement, il y a encore des médecins aujourd’hui qui refusent le stérilet au cuivre à des femmes qui n’ont pas d’enfant. C’est monstrueux, parce qu’il n’y a aucune raison. La France est le seul pays au monde où l’on agit ainsi. 

Comment expliquez-vous cette passion française pour la pilule ? 

Ce n’est pas une passion, mais plutôt le produit du dogmatisme et de l’ignorance d’une partie du corps médical français. Les médecins français se comportent avec le reste du monde comme le faisaient les Grecs de l’Antiquité. Pour eux, tout ce qui n’est pas dit par un Français, ou publié dans un livre français, n’a pas de valeur. Ils ne lisent pas les études anglo-saxonnes et ne développent pas leur esprit critique, ce qui fait le jeu de l’industrie pharmaceutique. 

La meilleure contraception est celle que la femme choisit. Si elle se sent à l’aise avec la méthode des températures, parce qu’elle entretient une relation stable avec son compagnon, un médecin n’a rien à dire. 

L’industrie pharmaceutique a-t-elle plus intérêt à ce que les femmes prennent la pilule ?

Oui, absolument. En 2003, j’ai écrit un texte dans Le Nouvel Observateur qui m’a valu les foudres de médecins français. J’y écrivais qu’il était scandaleux que ces derniers obligent leurs patientes à changer leur stérilet au cuivre au bout de deux ou cinq ans, alors qu’elles peuvent en réalité le garder entre dix et douze ans. Ce sont les recommandations de l’OMS. Bien sûr qu’une telle information n’est pas bonne pour les vendeurs de pilules.  

Les pilules exonérant les femmes de leurs règles sont généralement peu prescrites. Cela a-t-il à voir avec l’industrie du tampons ou des protections hygiéniques ? 

Je ne crois pas. On a ici affaire à un autre dogme, selon lequel une femme doit avoir ses règles. Pourtant les règles de la pilule ne sont pas des règles, mais une hémorragie de privation. Une sorte de mue provoquée par l’arrêt du médicament. Les médecins sont tellement angoissés qu’ils disent que c’est dangereux. Pourquoi, sur une année, serait-il plus dangereux de prendre la pilule 52 semaines d’affilée plutôt que 39 entrecoupées de pauses ? C’est absurde. D’autant plus que depuis les années 1970, les sportives, en particulier les joueuses de tennis et les nageuses, ainsi que les hôtesses de l’air, prenaient la pilule en continu de leur propre initiative. 

La pilule est-elle dangereuse ? 

La dangerosité des méthodes contraceptives est très limitée. Elle ne concerne qu’une petite proportion de femmes qu’il faut apprendre à dépister en les interrogeant. La seule substance potentiellement dangereuse dans la contraception, ce sont les œstrogènes. Ils peuvent provoquer un accident vasculaire ou une embolie pulmonaire. On ne doit ni les prescrire aux fumeuses de plus de 35 ans, ni aux femmes ayant des antécédents familiaux ou ayant déjà été victime d’un accident de ce type. Au bout de deux ans d’utilisation de n’importe quelle pilule contenant des œstrogènes, une femme peut être relativement tranquille. Pour ce qui est des pilules ne contenant que des progestatifs, elles peuvent provoquer une prise de poids et de l’acné, mais ne présentent pas de danger vital. 

Les Françaises sont de plus en plus nombreuses à arrêter la pilule. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ? 

C’est leur droit le plus strict. Je trouve très sain qu’un certain nombre de femmes se soient posé la question de ce qu’on leur prescrivait, qu’elles discutent entre elles, qu’elles critiquent et qu’elles prennent leur vie en main. La France est une société dans laquelle on s’en remet à l’expert, dans laquelle le médecin décrète et décide. Le savoir médical devrait pourtant être diffusé et discuté, la médecine pratiquée de manière plus collaborative. Ce mode de transmission vertical et à sens unique laisse place à une circulation de l’information beaucoup plus horizontale. Les médecins vont être amenés à travailler différemment. Les gynécologues d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier : ils ont grandi dans un monde différent et, contrairement à leurs aînés, ils lisent l’anglais ! 

Quel est l’avenir de la pilule ? 

Avant de penser à d’autres méthodes, je serais d’avis de généraliser une information équilibrée et non terrorisante autour de ce qui existe déjà, et de la fournir le plus tôt possible aux filles mais aussi aux garçons. Commençons par instaurer l’idée que le médecin a pour rôle de conseiller, et les femmes de choisir. 

Propos recueillis par MANON PAULIC & JULIEN BISSON

 

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