Tous les artisans rencontrés ce matin-là aux ateliers de maroquinerie d’Hermès à Pantin avaient le sourire et de l’éclat dans le regard. Fiers de leur ouvrage. Le directeur général, Emmanuel Pommier, avait la même expression de fierté en montrant le portefeuille de cuir fabriqué de ses mains à son arrivée, il y a douze ans : certes, la couture un peu de travers, là, n’aurait pas passé le contrôle qualité Hermès, mais c’est son œuvre. Il partage cette expérience avec chacun des hommes et des femmes qui travaillent ici « à la table » pour assembler, coudre, astiquer, perler, les quelque cinquante pièces d’un sac à main. « Nous ne pratiquons pas la parcellisation qui assigne les gens à une tâche répétée à l’infini, explique Emmanuel Pommier. Chaque artisan fabrique son sac de A à Z et le signe en y apposant ses initiales. Pouvoir dire “ce sac, c’est moi” est un facteur de responsabilité et d’estime de soi. »

Pas moins de trois mille artisans travaillent chez Hermès, sellier-maroquinier à Paris depuis 1837. Une grande partie des ateliers ont été installés à Pantin en 1992, mais la sellerie et le sur-mesure demeurent au 24 rue du Faubourg-Saint-Honoré, la maison historique. Jocelyne Zerbib, la cadre affable qui guide le visiteur d’atelier en atelier, a travaillé longtemps « au 24 » et se souvient que le grand patron, Jean-Louis Dumas, connaissait chacun par son nom. Tout en pointant les fenêtres de l’immeuble de Pantin, dit « la Pyramide », qui font « 90 × 90, la taille du carré Hermès », elle évoque ses trente-neuf ans de maison et les quelques centaines de sacs « faits main » qu’elle a réalisés : « Ensuite j’ai été envoyée à l’étranger – Tokyo, Londres, San Francisco, Hongkong – pour diriger les ateliers de réparation : nous avons coutume de dire que le luxe, c’est ce qui se répare. » Pas étonnant qu’elle connaisse par cœur l’infinie variété des cuirs qui arrivent des tanneries pour être travaillés dans les quinze maroquineries du groupe en France. Le veau (Box Calf, Togo, Tadelakt ou Barenia, sublime cuir fauve indifférent aux griffures) ; le taurillon, texturé et grenu ; la vache robuste et nature ; la chèvre Mysore, qui accepte les teintes les plus pop ; l’agneau des doublures intérieures, doux comme la soie. Sans parler des peaux exotiques : crocodile, autruche, lézard…

Dans l’odeur suave des peaux bien tannées, Franck a l’œil, le toucher et le vocabulaire de l’expert. Pourtant il a commencé à la logistique avant d’embrasser le métier de coupeur de cuir. Il étale devant lui une peau de chèvre couleur émeraude et passe sa main sous les « flancheux » (les côtés) : « Le bord est trop mou, voyez, il se déforme sous mes doigts ; il faut aller vers le centre pour trouver une texture plus ferme. » Il déploie à présent, d’un large mouvement des bras, une peau de taurillon de 5 mètres carrés qu’il caresse et scrute. Seule la perfection est acceptable, ces minuscules piqûres sur le cuir le disqualifient pour les pièces nobles. Tout l’art du coupeur, lorsqu’il assortit les pièces qui deviendront un sac Hermès – les modèles phares s’appellent Lindy, Birkin, Constance, Evelyne, Kelly –, est de ne pas gaspiller. Les cuirs rejetés pour défaut serviront pour les contreforts.

L’étape suivante est la couture des sacs. Une « griffe à frapper » crée le pointillé nécessaire pour que les points soient parfaitement réguliers. Charlotte enfile sur son aiguille le fil de lin poissé à la cire d’abeille – pour mieux glisser dans le cuir. Ni gants, ni dé à coudre : elle veut sentir la matière du bout des doigts. L’ébauche de sac est maintenue contre son genou par une sorte de pince à épiler géante. Sous ses mains qui dansent naît une couture parfaite. Jeune et cool, cette diplômée d’une école d’art a tout appris du métier par la formation interne.

Plus loin, Cécile en est à la phase de l’astiquage, c’est-à-dire la finition des bords du cuir. D’abord écrasée, la tranche est passée au papier de verre, puis à la teinture, puis chauffée au fer rouge, et les opérations se répètent deux fois, trois fois, jusqu’à ce que les bords soient parfaitement lisses, étanches et luisants. À une table voisine, on « perle » les clous qui fixent l’élégant fermoir métallique du sac Birkin – oui, comme Jane, qui a participé à la conception de son sac idéal. La tête du clou est polie jusqu’à ce que son bombé évoque une perle de cuivre. Un Birkin, c’est une vingtaine d’heures de travail. Et un prix à trois, voire quatre zéros selon la rareté du cuir…

Les sacs, les bagages, les gants, la petite maroquinerie sortent exclusivement des ateliers français de la marque. Les fortunes d’Asie, d’Amérique ou d’Europe qui les achètent pour leur design, leur solidité – ou par snobisme – contribuent à perpétuer de précieux savoir-faire, et à créer des emplois : 220 artisans viennent d’être embauchés en Normandie et en Limousin dans deux nouvelles maroquineries Hermès. « Ils ont tous les profils : des jeunes en alternance, des deuxièmes carrières, des diplômés d’école de commerce qui ont découvert qu’ils voulaient travailler de leurs mains », détaille le directeur général Emmanuel Pommier. « Chacun peut tenter sa chance. L’important est de montrer une aptitude à nos métiers de la main, détectée par nos tests et non par un niveau de diplôme. Tous seront accompagnés par des mentors. L’essentiel pour nous est que les savoir-faire soient transmis à leur meilleur… et qu’ils restent vivants. Nos artisans sont de la génération Y, ils apprennent par tutoriel : nous ne sommes pas un musée ! » 

Vous avez aimé ? Partagez-le !