Une main de super-héros, ça vous pose un gamin. Hier, il était l’enfant à qui il manque une main, aujourd’hui il est le plus cool de la classe. Sa main articulée en plastique fluo, avec laquelle il peut attraper, porter, pousser, avec laquelle il peut sans problème jouer, faire du sport, prendre un bain, a été imprimée en 3D par e-Nable. Gratuitement. Une histoire bluffante qui doit tout à Internet. Thierry Oquidam la raconte sans emphase dans son atelier du Xe arrondissement de Paris, où susurrent deux imprimantes 3D, « qui ne sont rien d’autre qu’un pistolet à colle monté sur moteur » !

Tout a commencé dans le nord-ouest des États-Unis, en 2011. Ivan Owen, un artiste qui gagne un peu d’argent en créant des accessoires de film d’horreur, se fabrique pour une fête une main de métal articulée genre Freddy et poste la vidéo sur YouTube. Richard Van As, en Afrique du Sud, la repère. Il a eu les doigts de la main droite sectionnés dans sa menuiserie et contacte l’Américain : à 20 000 kilomètres de distance, ces deux parfaits inconnus commencent à travailler ensemble pour réaliser une main articulée, et postent la vidéo sur YouTube. La maman de Liam, un petit Sud-Africain né sans doigts, leur écrit, et les voilà à l’œuvre pour adapter leur prototype au bras de l’enfant… YouTube, à nouveau. D’autres internautes s’y intéressent : Jon Schull, de l’université de Rochester (État de New York), crée une carte interactive pour rapprocher les personnes qui ont besoin d’une main articulée et celles qui peuvent aider. C’est lui qui trouve le nom du mouvement « Enabling the future ». Ivan a l’idée de l’impression 3D et s’adresse à un fabricant qui, contre toute attente, s’enthousiasme et offre deux imprimantes 3D, un matériel alors très coûteux. Ivan, sa femme Jen, Jon et ceux qui les rejoignent croient en l’open source, afin que les progrès soient partagés et améliorés de façon collaborative. Générosité, interactivité, gratuité, l’esprit de la communauté e-Nable se consolide.

En 2014, le Parisien Thierry Oquidam, qui a été directeur informatique d’une grande agence de communication, découvre l’initiative e-Nable sur le net. À l’époque, 700 personnes y participent dans le monde anglophone : ceux qui peuvent imprimer en 3D (les makers) reçoivent les plans et les logiciels – et fabriquent des mains pour les enfants nés avec une agénésie. Il est d’abord séduit par l’aspect technique. « J’ai commandé une imprimante 3D en kit, je l’ai montée, et j’ai démarré ! » Il découvre un monde. Jusqu’alors, pour remplacer l’extrémité manquante les patients avaient le choix entre la prothèse sociale (un manchon en plastique couleur chair, entre 2 000 et 4 000 euros) et la prothèse myoélectrique (doigts en fibre de carbone, phalanges articulées, 28 moteurs : entre 20 000 et 40 000 euros). Pour des enfants, la première est trop moche et la deuxième trop chère, trop lourde, trop fragile. Avec e-Nable, les « appareils d’assistance » (le mot prothèse est banni, s’agissant de dispositifs non médicaux) coûtent à peine 50 euros à produire sur mesure, et sont offerts aux destinataires. « L’enfant peut avoir une main différente pour chaque activité, on peut la remplacer quand il grandit. » La main en plastique ajustée sur le bras est activée par le mouvement du poignet (ou du coude), les doigts bougent grâce à de simples élastiques !

Aujourd’hui, e-Nable compte 12 000 membres dans le monde, et les francophones sont entrés dans la ronde. Thierry a créé une association loi de 1901 pour structurer le mouvement et récolter des fonds. Quatre personnes travaillent avec lui au bureau, soixante makers les ont rejoints partout sur le territoire. Tous sont bénévoles et philanthropes.

En 2017, le nouveau projet de l’association est d’équiper les familles qui le souhaitent d’une imprimante 3D pour qu’elles puissent elles-mêmes fabriquer à leurs enfants des mains de super-héros. 

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