Pour ceux d’entre nous qui voient les biotechnologies comme lointaines, abstraites, déshumanisées, avec quelque chose d’irrémédiablement californien, voici une bonne nouvelle. À Lyon, en ce moment même, des hommes et des femmes d’horizons professionnels variés travaillent sur un « projet peau » porteur d’un progrès radical en matière de soin des grands brûlés. Leur idée, lancée fin 2015 et qui en est déjà au stade de l’expérimentation sur la souris, est de fabriquer de la peau par imprimante 3D.

Imprimer de la peau ? Christophe Marquette, directeur adjoint du laboratoire 3D.Fab à l’Institut de chimie et de biochimie moléculaires et supramoléculaires de l’université Lyon I, nous a livré des explications plus que nécessaires. « Deux techniques existaient jusqu’ici pour fabriquer de la peau en laboratoire. La technique du feuillet, d’abord : une monocouche de cellules qu’on fait proliférer, qu’on décolle du support, qu’on assemble et qu’on applique sur le corps du patient. Ensuite, la technique des éponges de collagène – la protéine la plus abondante de l’organisme, indispensable au processus de cicatrisation – dans lesquelles, une fois qu’on les a fabriquées, on peut ensemencer des cellules de peau. Notre projet est un mixte des deux : en même temps qu’on fabrique l’éponge en 3D par impression, on intègre dedans des cellules de peau du patient. » On y gagne un temps précieux, vital pour le patient, et la possibilité de recréer la peau dans son épaisseur naturelle. « La peau complète, détaille Christophe Marquette, comporte deux couches principales, le derme et l’épiderme : une couche de fibroblastes et une couche de kératinocytes. En dessous, il y a l’hypoderme, constitué largement de cellules adipeuses. La 3D va permettre d’assembler des couches et de reconstruire en profondeur la peau disparue. »

Il n’est pas fortuit que cette innovation soit née à Lyon. La métropole dispose de quatre grands laboratoires de recherche sur la peau et le Centre européen de dermocosmétologie y a son siège depuis 1962. La synergie entre différents acteurs lyonnais publics et privés semble fonctionner à merveille. En l’occurrence, tout est parti d’une collaboration entre LabSkin Creations, start-up née au sein des Hospices civils de Lyon, le Laboratoire des substituts cutanés, à la pointe dans les soins aux grands brûlés, et 3D.Fab., un centre de recherche de haute technologie labellisé CNRS et Lyon I. L’entreprise LabSkin est spécialisée dans les tests dermatologiques pour les grands groupes de cosmétologie. L’expérimentation animale étant interdite en cosmétique, les tests d’efficacité sont effectués sur de la peau reconstituée en laboratoire. Les modèles sont très précis et comme ils partent de biopsies de peau humaine, ils sont « pays spécifique », « ethnie spécifique » et « âge spécifique ». Autrement dit, on peut reconstituer en laboratoire des peaux de tel ou tel pays – il paraît que les peaux chinoises sont un très gros marché en ce moment – et des peaux de tous âges : 20 ans, 40 ans, 60 ans… Le Laboratoire des substituts cutanés, lui, a la maîtrise de la culture des peaux-pansements pour les grands brûlés : depuis des années déjà on y fabrique dans des conditions ultrastériles des feuillets d’épiderme qui permettent de sauver des vies. Il fournit les tissus quand 3D.Fab s’occupe du développement technologique. 

« Nous ne sommes pas un laboratoire qui fabrique de la peau, nous sommes une plateforme technologique, précise son directeur adjoint. La coopération sur le projet peau a si bien marché qu’à la fin de l’an dernier nous avions déjà déposé un brevet mondial sur l’impression de peau en 3D et créé un prototype de machine permettant de fabriquer de la peau à l’hôpital. » Le plus grand défi, selon Christophe Marquette, est de récupérer suffisamment de cellules de peau saine du patient brûlé pour pouvoir en régénérer une grande surface. « Car pour réimprimer de la peau, il faut bien pouvoir refaire de l’encre ! » Devant notre perplexité, il explique patiemment : « L’encre, en l’occurrence, c’est du biopolymère naturel : une moitié de polymères animaux provenant de mammifères, et l’autre moitié d’origine végétale. Dans ce gel qu’on appelle l’encre, on disperse les cellules du patient. Ce gel est nutritif, il a les caractéristiques de viscosité qui permettent de faire de l’impression 3D et il permet aussi le développement de la peau. On formule les encres en fonction du tissu : certains tissus préfèrent être un peu plus rigides, d’autres plus souples et il y en a d’autres où les cellules se multiplient très lentement… On en est à l’expérimentation sur la souris, l’année prochaine ce sera sur le cochon, et après on passera à l’homme. » 

La suite sera d’imprimer directement la peau sur la personne qui en a besoin, son corps accélérant la maturation des cellules ; un bras robotique au bout duquel on a greffé une petite imprimante se déplacera au-dessus du patient en produisant plusieurs encres en même temps – autrement dit, des tissus graisseux, du derme et de l’épiderme. Une véritable reconstruction. L’idée de bioimprimer du vivant a moins d’une dizaine d’années et les technologies n’existent vraiment que depuis trois-quatre ans. Mais déjà la perspective de soigner des humains brûlés en réparant jusqu’à 70 % de la surface de leur corps n’est plus de la science-fiction.

Vous avez aimé ? Partagez-le !