Qu’avons-nous appris du cerveau animal ces dernières années ?

La plus grande découverte, c’est l’absence de corrélation entre la taille du cerveau et l’intelligence. On avait toujours en tête cette hiérarchisation liée à la taille du cerveau, avec les humains en haut de la pyramide des espèces. Or, en écologie, en biologie, l’humain est une branche parmi d’autres de l’évolution, apparue il y a 3 millions d’années, ou 6 millions, selon la définition que l’on retient. Des scientifiques ont montré qu’il y a plus de neurones chez certains oiseaux que chez les primates dans certaines zones du cerveau ! Il est impossible d’établir une hiérarchie entre les animaux. Chaque espèce a sa propre intelligence, liée à son contexte de vie. C’est parfois une intelligence collective : en Afrique, les termites construisent des termitières immenses dotées d’un système de ventilation extrêmement perfectionné. L’intelligence telle que je la définis est une adaptation comportementale qui permet à l’animal de recevoir un bénéfice, dont le plus beau est la survie. Directrice de recherches au Muséum national d’histoire naturelle, je travaille sur l’évolution des comportements et particulièrement la manipulation et l’utilisation d’outils. Je cherche à savoir si l’humain a vraiment les spécificités qu’on lui prête. 

Comment menez-vous vos recherches ?

Nous travaillons avec toutes sortes d’espèces – des singes, des lémuriens, des oiseaux, des amphibiens. On réalise des expériences de préhension pour voir comment les animaux saisissent la nourriture – avec leurs quatre doigts, les xénopes sont particulièrement habiles ! Trouver des fruits peut nécessiter des comportements très intelligents comme de mémoriser la fructification, les saisons et les zonalités. Nous regardons aussi si la prédation, le fait d’attraper des proies qui se déplacent, implique des capacités cognitives plus importantes que la saisie et le décorticage de fruits. On s’aperçoit que pour attraper une proie en mouvement, les singes sont latéralisés – ils n’utilisent que la main droite, ou que la gauche, en fonction des espèces – alors qu’ils se servent indifféremment des deux mains pour des proies inertes. Il se passe quelque chose dans le cerveau ! L’intelligence des animaux est mise à l’épreuve par les changements très rapides de leur environnement. Ils doivent faire preuve de plasticité. Cette adaptation en temps réel témoigne selon moi de leur intelligence.

La différence entre l’intelligence humaine et l’instinct animal serait donc obsolète ?

L’instinct, c’est tout ce qui est 100 % génétique, tout ce qui est programmé. Sauf que, l’environnement se modifiant, le comportement instinctif ne suffit pas. Les animaux comprennent les nouvelles contraintes de leur milieu, apprennent et cherchent des solutions. On a l’exemple d’une corneille, filmée en Australie, qui, perchée sur la barre horizontale d’un feu rouge, lâche sa noix par terre, attend que les voitures passent et l’écrasent, puis, quand le feu redevient rouge, va chercher sa nourriture. Les animaux ont de la personnalité ; il y a parmi eux des individus qui trouvent des idées, des innovations, sans qu’on sache expliquer pourquoi. J’ai travaillé avec une petite femelle capucin, Fetnat, qui recourait sans cesse à des solutions innovantes : elle mettait une noix sous ma chaussure et sautait sur mon pied pour l’écraser ; elle trempait les bogues des châtaignes dans l’eau afin de les ramollir et de les ouvrir plus facilement. Mais les autres singes ne l’imitaient pas, sans doute à cause de sa position hiérarchique : elle n’était pas la fille du chef ! Il existe des exemples où des innovations se transmettent. Au Japon, dans les années 1960, on a observé une femelle macaque, Imo, qui s’est mise à tremper ses patates douces dans l’eau pour enlever le sable qui la gênait. Petit à petit, ce comportement s’est propagé à l’ensemble du groupe et même d’archipel en archipel. Cela a conduit à des comportements nouveaux. Avant, les macaques japonais n’allaient pas dans l’eau ; progressivement, ils ont appris à tremper leurs aliments dans l’eau douce, puis dans l’eau de mer, dont ils ont semblé apprécier le goût salé ; en quelques générations, ils se sont mis à nager, à plonger et à jouer dans l’eau. Certains chercheurs n’hésitent pas à parler de tradition et de culture dans le monde animal. 

L’intelligence animale a-t-elle livré tous ses secrets ?

Des scientifiques ont fait une expérience avec les dauphins. Il fallait deux individus pour réussir une tâche ; l’un devait soulever, l’autre tirer. Ils envoient dans le bassin un dauphin qui prend le temps d’observer et comprend ce qu’il faut faire. Arrive un second dauphin et le premier, on ne sait pas comment, lui communique la solution. On ne les voit pas refaire toute l’étude de la tâche. Il lui transmet simplement son savoir, par des sons perceptibles et d’autres inaudibles pour nous, mais c’est un langage suffisamment élaboré pour expliquer une tâche complexe. Il reste énormément de choses à découvrir sur le cerveau et les comportements des animaux ! 

 

Propos recueillis par SOPHIE GHERARDI et JULIEN RIZZO

 

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