La première musique qui m’a touché, c’est celle qui racontait mon quartier. Sa réalité, ses fantasmes, ses envies, ses dégoûts. Quand je suis arrivé à Paris à l’âge de 12 ans, dans le quartier de Marx-Dormoy, j’écoutais essentiellement du rap français : la Mafia K’1 Fry, Hugo TSR Crew, Nessbeal… Nessbeal a écrit une chanson, Autopsie d’une tragédie. L’histoire d’un mec de retour chez lui après avoir passé quelque temps au bled. Ses potes lui parlent de ce qu’il a manqué ces dernières années, des premières bagarres au dépucelage, en passant par les embrouilles et les histoires de beau-père. Ces textes-là me parlaient. Le rap est un miroir de la société. Il la reflète dans sa vérité. C’est ce que j’aime en lui. La société, pour moi, ce sont surtout les oubliés. Monsieur et madame Dupont qui vont fermer leur gueule toute leur vie, dont on n’entendra jamais parler et qui, pourtant, font notre monde. Ce sont les êtres comme vous et moi. Je puise dans leurs histoires. J’ai envie de représenter tous ces hommes et femmes de l’ombre. Tous ceux qui vivent sans qu’on se soucie trop d’eux. Quand j’ai écrit Svetlana et Maïakovski, il y avait cette intention-là. Cette chanson raconte l’histoire d’une pute et d’un poète, une sorte de La Belle et la Bête inversé. Je voulais parler de ces femmes, devant qui on passe sans les voir. Elles font partie du décor. Ce sont les personnes que tu vois le plus dans ton quartier, et à qui tu ne diras jamais bonjour. Je voulais les rendre humaines. Ce qu’échoue parfois à faire l’actualité, qui traite de cas particuliers mais en laisse beaucoup de côté. L’artiste est proche de la société. Il ne faut pas le mettre sur un piédestal. La seule chose qui le distingue, c’est la création, le passage à l’acte. J’ai l’impression d’être un pur produit de ma génération, ni meilleur ni plus faible qu’un autre. Je représente bien les jeunes de 24 ans dans leur style de vie, à vouloir tester la vie, la nuit… Les premiers amours, la musique, les potes, les désillusions, les déprimes de fin d’adolescence. Un mec qui cherche sa place. Quand j’écris, je prends ce qui me passe par la tête et je sais que certains s’y retrouveront. Mais la musique ne reflète pas la société uniquement dans ses textes. Notre manière de la consommer, qui a changé, en dit aussi beaucoup. Avant, on écoutait un album en boucle, de la première à la dernière chanson, en respectant l’ordre des titres, même quand on n’en aimait pas certains. Maintenant, on zappe. C’est la conséquence de l’arrivée des plateformes de streaming. On prend ce qui nous plaît un peu partout. On décloisonne : les mecs qui écoutaient soit du rap, soit du rock, soit de l’électro, tout ça, c’est fini. Le rap lui-même a évolué. Il est plus diversifié qu’à ses débuts. Avant, il y avait des codes à respecter, des histoires particulières à raconter. Aujourd’hui, sa définition n’est plus très claire. Plein de styles différents ont émergé. Le rap ne vient plus seulement des quartiers. Tu en as pour tout le monde. Et il fait partie, à mes yeux, de ce qui se fait de mieux dans la chanson française. 

M.P.

 

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