L’élection d’Emmanuel Macron est-elle le signe d’une bouffée d’optimisme en France ? 

Absolument ! Si Macron a réussi à faire campagne pendant douze mois sans programme, c’est parce qu’il incarnait quelque chose de complètement nouveau : un optimisme revendiqué. Les discours de Mélenchon et de Le Pen se résumaient à l’idée que tout va mal et que tout va aller en empirant. Lui est arrivé en assurant que les problèmes pouvaient être réglés en parlant. Churchill disait que « l’attitude est une petite chose qui fait une grande différence ». C’est tout à fait ça. Au fond, Macron a fait l’inverse de Trump : il a mené une campagne optimiste dans un pays où régnait un pessimisme ambiant. Et avec son élection, les optimistes ont fait leur coming out.

Vous étiez en France le mois dernier. L’avez-vous ressenti ? 

J’ai senti une énergie complètement nouvelle à travers les conversations que j’ai pu avoir avec les Français. Rien à voir avec l’atmosphère de 2013, lorsque je vivais en France. Le pays souffrait de sinistrose aiguë : un refus de guérir, d’accepter que quelque chose aille bien. J’ai toujours pensé que la France était une grande société maniaco-dépressive, mais là, c’était pire que tout. Son état d’esprit était comparable à celui décrit dans L’Étrange Défaite, l’ouvrage fascinant écrit à chaud par l’historien Marc Bloch en juillet 1940. Depuis l’élection présidentielle, j’ai l’impression d’un réel changement de paradigme. J’ose le dire : il se passe quelque chose de beau en France.

Cet élan est-il perceptible de l’étranger ? 

Oui, tout le monde s’est rendu compte qu’il s’était passé quelque chose. C’est un optimisme contagieux. La France est un pays important à l’échelle internationale, bien qu’on ne le reconnaisse pas toujours en ces termes. Peu de pays contrôlent une partie aussi vaste de la Terre. Elle est donc très observée.

Doit-on uniquement cet optimisme à un renouveau politique ? 

Il a libéré une énergie qui existait déjà. La société française a toujours été extrêmement entreprenante. Regardez l’Alliance française : ce réseau culturel destiné à enseigner et diffuser la langue française a été créé parce que des individus se sont dit qu’ils devaient prendre en main cette mission sans attendre que l’État le fasse. La France a toujours incarné l’idée que tout est possible. Ce discours était simplement brimé depuis une quarantaine d’années – les « Quarante Piteuses ». Sa libération, qui explique en grande partie l’élection de Macron, a eu lieu dans les régions, principalement. À Paris et à l’étranger, on soupçonne mal leurs richesses, leur dynamisme culturel, économique et politique. On s’est beaucoup moqué d’Alexandre Jardin, mais son mouvement des Zèbres incarne tout cela. Les Français sont les Américains de l’Europe : ils ont toujours défendu l’idée que l’on est capable. 

Les Français ne seraient donc pas fondamentalement pessimistes ? 

Les Français ne sont pas plus pessimistes que les Américains. Ils sont même foncièrement optimistes. Simplement, en France, il est permis d’exprimer son pessimisme publiquement, tandis qu’en Amérique on garde le sourire en public en toutes circonstances. Chez vous, il y a cette « culture de la faute » qui pèse beaucoup. Faire une erreur est terrible pour un Français. Il est terrifié à l’idée de ne pas savoir et d’être jugé pour cela. Le film de Patrice Leconte, Ridicule, a touché un nerf incroyable de la société française. J’ai moi-même souvent été témoin de conversations hallucinantes parce que des Français ne voulaient pas admettre qu’ils ne savaient pas. Ce n’est pourtant pas grave ! Ici, en Amérique du Nord, même les politiques ne cachent pas leur ignorance. On se demande pourquoi les Français ont du mal à apprendre une langue étrangère… C’est parce que l’anglais ne s’apprend pas, il s’attrape ! Comment voulez-vous y parvenir si vous avez peur de faire des fautes ?

En quoi les Français seraient-ils foncièrement optimistes ? 

S’ils ne l’étaient pas, ils ne feraient pas tant d’enfants – deux enfants par femme, le taux le plus élevé d’Europe – et ils ne créeraient pas autant d’entreprises. Depuis la fin de la guerre, la France est restée le pays le plus entrepreneurial d’Europe. Elle a créé six fois plus d’entreprises que l’Allemagne, l’Angleterre ou l’Amérique – en proportion dans le cas de l’Amérique. Les entrepreneurs français en déplacement à l’étranger ont déjà commencé à abandonner leur discours décliniste. L’optimisme ne va pas tarder à gagner la production culturelle et intellectuelle, j’en suis certain.  

Pourquoi dit-on des Français qu’ils sont le peuple le plus pessimiste du monde ? 

Une chose m’a fasciné lors de mon premier séjour en France : l’écart entre le discours public, systématiquement pessimiste, et le discours privé, souvent optimiste, des Français. En 2014, Thierry Saussez, le fondateur du Printemps de l’optimisme, a été le premier à mettre en lumière un autre paradoxe en commandant un sondage sur l’état d’esprit des Français : quand on leur demandait ce qu’ils pensaient de la société, 80 % répondait « tout va mal » ; en revanche, quand on les interrogeait sur leur situation personnelle, 80 % étaient plutôt satisfaits. Cette dissonance est absolument incroyable !

Quelles sont les racines du pessimisme public des Français ?

Cette tendance est ancienne. Elle s’explique principalement par la culture paysanne de la France. Autrefois, le paysan était taxé en fonction de sa richesse apparente. Cultiver un discours « négativiste », c’était donc protéger son jardin. Cette culture paysanne a conservé une place très importante, notamment à travers le terroir. Il ne faut pas oublier que l’industrialisation de la France est récente : jusqu’en 1945, la moitié des Français étaient des paysans. Ce pessimisme a aussi une explication philosophique : il remonte au Candide de Voltaire, une attaque frontale de l’optimisme. Enfin, le pessimisme des Français, c’est aussi, comme on a pu le voir, la peur du ridicule. On se montre pessimiste parce que c’est plus prudent. Les Français disent « non » très facilement. 

Comment ce pessimisme public se traduit-il dans la langue française ?

En français, il existe toutes sortes de manières de dire « non » : « ça n’existe pas », « pas question », « c’est pas possible »... Toutes ces expressions permettent d’éviter de dire que l’on ne sait pas. Je vais vous raconter une anecdote. Un jour, ma femme et moi cherchions de la margarine. La vendeuse de l’épicerie française dans laquelle nous sommes entrés ne connaissait pas ce produit. Au lieu de l’admettre, elle nous a dit qu’elle n’en vendait pas. Or, en cherchant un peu, j’en ai trouvé. L’étiquette ne disait pas « margarine » mais « Oméga-3 ». Lorsque je lui ai montré, elle s’est exclamée : « Eh bien voilà ! », l’air de dire que c’était de ma faute, que j’avais mal regardé. Cette petite anecdote révèle à quel point l’ignorance est un tabou en France, un pays où l’on peut être congédié parce que l’on ne sait pas. Je ne suis pas sûr que les Français parviennent à changer ce réflexe-là, c’est très ancré ! 

Pensez-vous que cet optimisme public nouveau soit durable ? 

Je crois qu’il a de bonnes chances de durer parce que Macron incarne quelque chose de nouveau : pour la première fois, quelqu’un occupe le centre de manière viable. L’Assemblée nationale est rénovée avec 40 % de femmes et 13 % de députés issus de l’immigration. Contrairement au Brexit, la victoire d’Emmanuel Macron n’est pas un accident. Il faut désormais qu’il soit à la hauteur, qu’il livre la marchandise ! Tout n’est quand même pas encore gagné. Mélenchon et Le Pen maintiennent un fond de négativisme. Mais la loi contre le cumul des mandats est un signe positif. Cette pratique constituait le principal verrou au changement d’air, c’est elle qui donnait à la France cette image de pays bloqué et irréformable. Dans la France d’aujourd’hui, l’optimisme a sa chance. 

Propos recueillis par MANON PAULIC

 

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